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C'est une quantité non négligeable de contenus originaux, une base solide pour comprendre les fondamentaux et bien débuter en permaculture et agroforesterie.
Les posts furent également le préalable à la rédaction du livre "Cultiver dans le monde de demain" ! Nous partageons également sur les réseaux sociaux, suivez-nous !
06/02/2025
On oppose souvent permaculture et agriculture : trucs de bobos sans rapport avec le monde réel, pas "rentable", impossibilité de la développer sur de grandes surfaces, et donc de "nourrir la planÚte", truc de fainéants, etc.
La perma est, je le rĂ©pĂšte Ă l'envie, une mĂ©thode de conception de systĂšmes. Elle permet d'obtenir des agro-Ă©cosystĂšmes multiproductifs, rĂ©silients et relativement autonomes. L'intĂ©rĂȘt est que les principes de permacultures soient universels et transposables Ă toutes les Ă©chelles : depuis un petit potager, voire un balcon, dans un grand jardin, sur une propriĂ©tĂ© entiĂšre sans problĂšme, etc. Mais quid d'un systĂšme agricole sur grande Ă©chelle? La lĂ©gitimitĂ© de la permaculture repose toujours sur cette sempiternelle question : ok pour les intĂ©rĂȘts Ă©cologiques, mais soyons pragmatiques : peut-on en vivre ??
Et si on sortait du cadre? Si on abandonnait 2 minutes le mot "permaculture", avec tout son contingent d'aprioris, de valeurs et de jugements. Un dogme, aussi permaculturel qu'il soit, reste un dogme, donc limitant. En l'ouvrant à d'autres techniques et visions on peut aller plus loin, remplir des objectifs inédits et agrandir l'horizon des possibles en créant des synergies écologiquement vertueuses et économiquement rentables.
Rapidement abordé dans un précédent article, la conception de systÚmes agricole est une branche de la permaculture trÚs particuliÚre en ce sens qu'elle nécessite des connaissances fines sur de nombreux aspects techniques et qu'elle met l'accent sur l'aspect économique et rentabilité de la structure.
C'est sur l'exemple éclairant de la ferme du lycée agricole d'Aurillac (Cantal), premier établissement conçue de maniÚre holistique que nous allons nous baser pour tenter de comprendre comment la permaculture peut gagner ses lettres de noblesses et enfin se réconcilier avec l'agriculture.
Percival Alfred Yeomans propose dans les annĂ©es 50 une grille de lecture du paysage qui deviendra une mĂ©thode de conception de paysages agricoles, basĂ©e sur la gestion de l'eau : la mĂ©thode keyline. Le contexte australien s'y prĂȘte particuliĂšrement, en effet de hautes tempĂ©ratures couplĂ©es avec des pĂ©riodes de trĂšs fortes sĂ©cheresses mettent Ă mal une agriculture hĂ©ritĂ©e des plaines tempĂ©rĂ©es et arrosĂ©es d'Europe.
Cette fameuse "méthode keyline" repose sur l'hydratation des terres, la création de nombreuses retenues d'eau résultant d'une étude fine du paysage, de son relief et de sa pluviométrie.
Ce qu'on retient le plus souvent c'est sa mĂ©thode rĂ©volutionnaire de sous-solage le long des keylines ou "lignes-clĂ©" pour infiltrer l'eau et ramener de l'eau des vallĂ©es aux crĂȘtes. Pour en savoir plus, un bon rĂ©sumĂ© sur le site de Franck Chevallier "Paysages fertiles".
Mais plus que les techniques, c'est sa méthode de conception globale qui permettra en particulier à Bill Mollison et David Holmgren de poser les bases de la permaculture. La conception keyline est une grille d'analyse d'un site, d'un paysage, d'un lieu qui permet de penser un projet (ou design) en ayant la vision la plus transversale possible. Comme déjà expliqué ailleurs, pour ne rien rater on part toujours du plus global au plus local :
Contexte :
Le lycée agricole d'Aurillac bénéficie d'une réputation solide dans le domaine de l'élevage et de l'agroalimentaire. Or ses outils de production, exploitation agricole et ateliers technologiques lait et viande, orientés sur des systÚmes plutÎt intensifs et semi-industriels, nécessitent une refonte complÚte de leur mode de fonctionnement pour mieux s'adapter au nouveau contexte agricole et alimentaire, travailler en commun avec plus de cohérence, mieux répondre aux attentes pédagogiques des formations conduites au sein de l'établissement et contribuer pleinement à la dynamique nationale "produisons autrement".
Une démarche de projet a été lancée en septembre 2014, qui vise à revoir complétement le systÚme de production et de transformation, et à proposer à l'ensemble des acteurs agricoles et agro-alimentaires du Cantal un modÚle innovant et démonstratif de production et transformation des produits de moyenne montagne.
Ce modÚle reposera sur des systÚmes de production entiÚrement repensés pour intégrer les principes de l'agro-écologie et aura pour valeurs fondatrices les notions d'autonomie, d'économie d'intrants, de haute qualité environnementale, de qualité des produits, de recherche de valeur ajoutée, d'insertion dans le territoire et de performance économique.
Un systÚme fourrager sans maïs, basé sur la prairie, la luzerne et les mélanges céréaliers, intégrant des pratiques d'agroforesterie. Plus d'ensilage mais un séchage en bottes par déshydratation de l'air.
Des produits bovins viande tous labellisés et valorisés localement.
Un atelier de transformation laitiÚre à la ferme permettant de produire des fromages fermiers de haute qualité toute l'année.
La conversion Ă l'agriculture biologique de l'exploitation agricole est engagĂ©e depuis le 1er avril 2017. Mais sa mise en Ćuvre technique n'est pas complĂ©tement finalisĂ©e.
C'est pourquoi j'ai proposĂ© la participation de Franck Chevallier, designer agricole (lui-mĂȘme ancien agriculteur) pour refaire entiĂšrement la conception de cette exploitation selon les principes et techniques de la permaculture.
L'herbe pĂąturĂ©e est la ressource fourragĂšre la moins coĂ»teuse. L'objectif est d'offrir aux vaches un volume important, de qualitĂ©, et le plus longtemps possible dans l'annĂ©e. Il faut donc organiser le pĂąturage de façon Ă respecter le temps de repos des plantes entre deux crocs. Pour cela, il faut mettre en place des chemins dâaccĂšs, des clĂŽtures, un rĂ©seau d'abreuvement et de l'ombrage.
Les infrastructures de pùturage représentent un investissement au départ. Mais elles sont la clef de l'autonomie alimentaire du troupeau et d'une production laitiÚre de qualité et typée.
Le contexte de Yeomans reste celui de l'Australie : des problématiques d'aridité, bien loin de celles du cantal... Donc attention (une fois de plus), il ne s'agit pas de recopier tel quel des techniques ayant fonctionnées dans un cadre bien particulier. On va pour cela partir de l'existant, des problématiques rencontrées ainsi que des objectifs souhaités.
Par exemple, construire des baissiĂšres ou utiliser le sous-solage en keyline ne serait pas judicieux ici : une Ă©tude fine du sol et de l'hydrologie du lieu laisse Ă penser qu'on a plus un problĂšme d'Ă©vacuation de l'eau sur les parcelles. Dans ce contexte pĂ©doclimatique, la meilleur stratĂ©gie est de laisser s'Ă©vacuer lâexcĂšs d'eau par les creux. On rĂ©alisera donc une typologie des zones d'influence diffĂ©rentes quand Ă l'hydrologie : crĂȘtes, vallĂ©es, zones humides.
Les accĂšs sont un paramĂštre fondamental car ils dĂ©terminent oĂč et comment vont se passer les Ă©changes Ă©nergĂ©tiques : dĂ©placements, transports... Ils sont la moelle Ă©piniĂšre du systĂšme et nĂ©cessitent d'ĂȘtre trĂšs rĂ©flĂ©chis.
La portance est le critÚre le plus important. Quand c'était possible et en accord avec la distribution des paddocks, les chemins ont été placés dans les zones les plus saines :
- sur les crĂȘtes pour passer des parties basses aux parties hautes du terrain.
- Ă la rupture de pente entre une zone Ă©rosive et dĂ©positaire, lĂ oĂč la pente est plus douce et le sol reste superficiel.
Le deuxiÚme critÚre est d'éviter que le ruissellement traverse le chemin, ce qui accentue le pataugeage des vaches et la détérioration du chemin. Pour cela, des fossés sont ajoutés du coté haut des chemins horizontaux.
Puisque vous avez lu mon dernier article sur les bienfaits du pĂąturage tournant dynamique, vous avez compris que cette bonne gestion est fondamentale et la base du bon fonctionnement de tout votre systĂšme (Ă©cologique et Ă©conomique).
Pour simplifier le principe est "beaucoup de pùturage sur une petit surface mais peu de temps". Et la clé est la bonne date du retour des animaux sans nuire au bon renouvellement de l'herbe. Les (grands) pùturages seront donc divisés en en 24 paddocks. Une fois clÎturée en fixe, la gestion du pùturage se limite à ouvrir et fermer les portes. Les paddocks les plus sains seront réservés pour les périodes pluvieuses.
Pour favoriser le précédent adage, on pourra rediviser les paddocks en 2 ou 3. Offrir le meilleur à pùturer aux laitiÚres en faisant suivre un autre troupeau pour les refus (génisses et taries ou chevaux). Pour cela, il faut mettre en place un réseau d'abreuvement avec de l'eau à disposition dans chaque paddock.
On ne compte plus les intĂ©rĂȘts de la prĂ©sence d'une strate arborĂ©e dans les milieux agricoles, et en particulier en prĂ©sence de bĂ©tail :
Plusieurs réflexions sont en cours, en incluant les élÚves de BTS Gestion ForestiÚre ainsi qu'en DUT génie biologique pour réfléchir aux types d'essences les mieux adaptées au contexte et aux besoins, ainsi qu'aux filiÚres de valorisation (production, diversification, autonomie de la ferme, etc).
Autre point crucial, la sous-division en paddocks nécessite une vraie stratégie pour l'abreuvement des animaux. AprÚs le calcul des besoins en eau (globalement et en été), on remarquera qu'il n'y a pas de ressources locales à part l'eau de ruissellement des toitures, qui n'est, à l'heure actuelle, pas mise en valeur.
Selon la surface de toiture collectable et les coefficients de sécurité retenus, il faudrait un volume tampon de 500 à 800 m3. De tels volumes sont stockables dans une poche ou dans une réserve collinaire. L'emplacement idéal pour une réserve collinaire collectant les eaux de toiture se trouve dans la petite vallée du bas du bùtiment des vaches laitiÚres (prévoir une station de filtration et de surpression qui montera l'eau vers le point le plus haut par le chemin le plus court pour redistribuer ensuite dans les paddocks en redescendant).
Peut-on dans ce cas parler de permaculture? Il s'agit bien d'une conception globale de systĂšme s'inspirant des patterns de la Nature, utilisant des techniques, des stratĂ©gies permettant de rĂ©pondre Ă des problĂ©matiques liĂ©es Ă un contexte particulier. Tout en fournissant de maniĂšre passive des services Ă©cosystĂ©miques et aggradant naturellement lâĂ©cosystĂšme.
Le point est mis bien entendu sur l'autonomie de la ferme, les économies potentielles : fourrage, eau et l'optimisation des process. L'on ne démérite pas avec la mise en place de productions potentielles et diversifiées en valorisant la strate agroforestiÚre : production de fruits, plaquettes, piquets, fourrage, etc.
L'augmentation de la qualitĂ© des produits est une consĂ©quence d'une meilleure gestion des parcelles, du bien-ĂȘtre accru des animaux et de l'amĂ©lioration globale de l'environnement.
Vu qu'il y a moins d'importations on baisse non seulement le bilan carbone de l'exploitation, et de part les techniques mises en place on FIXE du carbone dans les sols (agroforesterie, pĂąturage dynamique).
Cette vision holistique peut nous permettre de sortir par le haut d'un systÚme agricole industriel en bout de course. PlutÎt qu'une addition de techniques à la mode, c'est l'étude fine, le design, la conception qui déterminera la suite des opérations, en accord avec le contexte et les objectifs.
Il est grand temps que l'agriculture fasse sa transition. La permaculture peut lui permettre de retrouver ses lettres de noblesse, sans pour autant retourner dans un passé illusoire et non souhaitable. Des professionnels encore trop peu nombreux commence à travailler sur une vision globale des exploitations. Gageons que les temps qui changent leur ouvrent les portes d'une planÚte qui en a bien besoin....
29/03/2024
DerniĂšres Ă©tapes de notre boĂźte Ă outils pour concevoir un lieu en permaculture de A Ă Z.
Nous avons donc vu dans un premier temps ce qu'on voulait (Buts), ce qu'on avait (Observation), dans un second temps la pertinence -ou pas- entre les 2 (Limites/Ressources), ainsi que différentes approches pour placer les éléments au mieux (Analyse). Voici venu le temps de poser tout ça sur le papier !
Vous avez le choix de l'arme : papier, logiciel informatique, c'est vous qui choisissez selon votre goût et vos connaissances.
On va à ce stade se servir de tous les points qu'on a vu précédemment et mettre sur papier les plus importants pour ce qui nous concerne : bùtiments, accÚs, eau, existant. En gros ce qu'on a vu au stade "Observation".
Toujours mentionner l'orientation et l'Ă©chelle de votre carte !
Que ce soit en version papier ou numérique, les calques sont trÚs intéressants voire indispensables pour mettre en relief des stratégies ou des flux et ne pas saturer la carte d'infos.
Par exemple si le contexte le demande, un calque spĂ©cifique sur l'eau peut ĂȘtre nĂ©cessaire (arrosage intĂ©grĂ©, gros travail de distribution d'eau etc).
On peut focaliser aussi sur les flux (circulation des matériaux, des récoltes, directions, intensité), faire un focus aussi sur les zones, voire les interactions, ...
Chaque contexte déterminera les points les plus importants à mettre en exergue, ainsi que les degrés de détail.
Le travail fourni précédemment avec le zonage, la carte des secteurs et l'analyse fonctionnelle va nous permettre de commencer à placer nos éléments sur la carte de maniÚre à ce que les besoins des uns soient remplis par les produits/fonctions des autres.
On peut commencer à travailler sur du global sans aller tout de suite dans les détails, qui reste un vilain défaut (que nous avons tous).
On dégrossi en dégageant les principales cultures et zones spécifiques sans aller dans le détail. Pour ma part je travaille de cette sorte, et ensuite je zoom sur différentes parties, avec une plus petite échelle, ce qui me permet de mettre un maximum d'information sur papier.
Remarque : J'insiste sur le fait de faire cet exercice à plusieurs, surtout si tout le monde est concerné par le design : famille, collectif, couple etc. L'expérience, la culture des uns et des autres va nous permettre de multiplier les points de vue, les priorités, les connaissances et les ressentis. Travailler seul est dysfonctionnel en permaculture. On favorisera toujours l'émulation collective et la co-création faisant émerger l'intelligence collective et ainsi ouvrir le champs des possibles.
On obtient ce qu'on appelle un plan directeur, c'est à dire la "big picture" de votre projet, en adéquation avec vos objectifs et les ressources et limites de votre terrain. Tout y est annoté, vous avez enfin le mode d'emploi devant les yeux !
A ce stade, vous allez pouvoir anticiper les différents travaux, terrassements, mise en place des structures, clÎtures, etc... Je rappelle que le design est une planification dans l'espace ET le temps : une ventilation précise des travaux vous sera d'une grande aide, et ce, sur plusieurs années parfois. Cette derniÚre va dépendre des limites et ressources que vous avez réalisé en amont : temps, argent, condition physique, etc.
Du petit potager en permaculture Ă l'Ă©covillage, les travaux Ă mettre en place pour la rĂ©alisation du design vont ĂȘtre bien diffĂ©rents selon chaque contexte. Si votre projet est consĂ©quent, cette phase risque d'ĂȘtre, elle aussi, consĂ©quente. Comment gĂ©rer les travaux dans la durĂ©e, dans le bon ordre, ne rien oublier, avoir besoin de domaines qu'on ne maĂźtrise pas, comment ne pas s'Ă©puiser, etc beaucoup de questions auxquelles il va falloir penser en amont des travaux en eux-mĂȘme. Il y a 3 points de base Ă respecter :
identifier les tĂąches Ă rĂ©aliser et les rassembler dans un plan de mise en Ćuvre, avec une hiĂ©rarchisation : "first things first"
préciser le temps et le budget dont on dispose
prévoir un calendrier précis des travaux
C'est donc le moment également de se poser la question du budget : suffisant ? si non, emprunt ? revenus de la ferme ? chiffre d'affaire estimé ?
Un outil que j'aime bien explique comment arbitrer ses décisions : le triangle impossible : coût/vitesse/efficacité. Je l'ai trouvé dans l'excellent livre de Grégory Derville "La permaculture, en route pour la transition énergétique". Je vous le refais à main levée :
C'est trĂšs simple :
Si vous souhaitez quelque chose de gratuit, mais de bien : ce ne sera pas rapide.
Si vous voulez quelque chose de bien et de rapide : ça ne sera certainement pas gratuit
Et si vous désirez quelque chose de rapide et gratuit : il ne faudra sans doute pas s'attendre à quelque chose de trÚs peaufiné...
La conclusion est qu'il est impossible d'atteindre un objectif quelconque de façon à la fois rapide, efficace et peu onéreuse. Il va falloir accepter et anticiper ce fait.
Si votre budget est confortable et en cas de limites spécifiques (condition physique, méconnaissance du domaine, ou flippé), il est recommandé de faire appel à un professionnel. Ce sera un coût sans doute non négligeable mais vous avez la certitude d'un travail vite et bien fait et de vous économiser du temps et du stress !
Si le budget est insuffisant vous avez le choix pour la main dâĆuvre entre :
des chantiers participatifs, perma-blitz ou woofing. Attention, le woofing est encadré (inscription nécessaire) et les chantiers participatifs sont sous votre responsabilité. Renseignez-vous sur vos assurances et leur conditions générales. Certains sites comme Twiza regroupent les chantiers participatifs et proposent des assurances spécifiques contre l'adhésion à l'association. Sinon, vous avez les "coups de main" qui ne rentrent dans aucune case :)
des formations-actions sur votre lieu : Vous contactez un formateur pour organiser un stage sur une thématique pratique chez vous. Les stagiaires viennent pour apprendre, et font également (installation d'une mare, de toilettes sÚches, buttes auto-fertiles, ...). Vous apprenez aussi et bénéficiez du coup de main démultiplié et du savoir-faire du formateur. Du win-win en substance.
Pour les fauchés également, insister sur les matériaux de récupération. Notre mode de vie consumériste implique aussi de nombreuses ressources, ne gùchons pas notre joie : pneus, palettes, vieux meubles, bouteilles (ça sert toujours), matiÚres organiques diverses. Bill Mollison disait que la seule limite d'un permaculteur est son imagination : sortons du cadre !
Si vous ĂȘtes arrivĂ©s jusque lĂ , vous avez donc compris que la permaculture n'est pas un truc de feignant ! Elle consiste surtout Ă rĂ©flĂ©chir (beaucoup) avant d'agir, afin que nos actions soient les plus efficaces possibles sur le court, moyen et long terme. Elle nĂ©cessite beaucoup d'investissement en amont pour limiter les dĂ©penses ensuite.
Parce que ne croyez pas que c'est fini : bienvenue dans le temps long ! Maintenant que tout est en place, va se dérouler au fil des années les rituels nécessaires à l'entretien de ce systÚme, caractérisé principalement par des opérations telles que :
désherbage
taille
entretien des structures
paillage
récoltes
multiplication (semis, boutures, greffes, ...)
transformation des produits
entretien des systĂšme d'irrigation, etc.
L'objectif final d'un systÚme en permaculture est que la seule maintenance soit la récolte.
Ce ne sera pas le cas mais cela doit rester notre ligne rouge. Nous allons donc tenter de trouver des stratégies pour tous les points d'entretiens vu ci-dessus.
Par exemple pour le désherbage, on va établir une stratégie de paillage ou de plantes couvre-sol systématiques (ça marche pour limiter l'arrosage aussi). Pour la taille, on peut déjà se demander si c'est nécessaire, ensuite écarter suffisamment les arbres, choisir des porte-greffes moins vigoureux, etc... Pour l'entretien des structures, on peut (doit) choisir des matériaux les plus durables possibles pour éviter de refaire des bacs de culture par exemple tous les 3 ans, etc... Il existe plein de stratégies à connaßtre, pour chaque étape d'entretien.
MAIS. Si votre systĂšme vient d'ĂȘtre mis en place, tel un jeune enfant, il aura besoin de vous : arrosage, paillage, etc. Au fur et Ă mesure que votre conception va prendre de l'Ăąge, toutes les synergies que vous avez prĂ©alablement imaginĂ©es vont se mettre en place et se renforcer :
Les microclimats bénéfiques prévus vont s'établir durablement, les arbres se développant, de plus en plus de matiÚre organique va retourner au sol (feuilles, brindilles, branches) et participer au mulch "naturel".
Des équilibres subtils vont naßtre, certains que vous avez conçus et d'autres (pour la plupart) totalement inédits grùce à la biodiversité qui va s'accroßtre toujours un peu plus chaque année.
Et, effectivement cette masse de travail du début va lentement mais sûrement se réduire d'années en années... Un systÚme en permaculture, car basé principalement sur des végétaux pérennes et à croissance lente, va mettre entre 15 et 20 ans pour atteindre la maturité.
Alors un truc de feignants, oui, mais qui voient Ă long terme : Bienvenue dans le temps de la Nature.
Remarque : Dans notre société hors-sol et hygiéniste, on privilégie ce "qui fait propre". Or, cette notion est purement culturelle, ce qui impose une déconstruction profonde et qui n'est pas évidente mais simplement vitale pour laisser de la place aux autres vivants non-humains.
Votre conception est un systĂšme dynamique, inclusif et adaptable. Rien n'est gravĂ© dans le marbre et vous pouvez, de maniĂšre quotidienne, ou formellement annuelle vous posez cette question : est-ce que mon systĂšme est Ă©quilibrĂ© ? Des manques (eau, matiĂšres organiques, productions, ...) ainsi que des surplus (productions, pollutions, trop de travail, ...) indiquent un dĂ©sĂ©quilibre : votre conception doit ĂȘtre remaniĂ©e. Si les besoins des uns ne couvrent pas de façon optimale les besoins des autres, l'Ă©thique de la permaculture n'est pas remplie.
De plus, votre contexte ne cesse de changer : socialement, professionnellement, le climat, les besoins, problÚme de santé, naissance, etc... il faudra donc repenser votre design. N'oubliez pas que c'est un processus qui n'a pas de fin ! Comme expliqué dans le premier chapitre, l'équilibre est un objectif mais pas une fin, car il n'existe pas !
Le processus de design peut sembler long et fastidieux. Mais nos habitudes impatientes et interventionnistes ainsi que notre inculture du fonctionnement du vivant nous pousse trop souvent à faire des erreurs que l'on paye parfois durement. Les projets en permaculture sont trÚs souvent des projets de vie avec une dimension émotionnelle forte due à des réflexions profondes sur le sens, les valeurs, sur un futur terrifiant qu'on veut apaiser, un patrimoine sain et nourricier qu'on veut laisser à ses enfants, etc. Tout est là pour qu'un ratage se transforme en drame personnel, mais aussi familial ou collectif.
Qu'on le veuille ou non, cela fait désormais plusieurs générations que nous sommes déconnectés, que nous avons perdu beaucoup de connaissances, d'expériences et une certaine forme de bon sens. La conception en permaculture est une boßte à outil pour retrouver ce bon sens.
C'est un travail de longue haleine qui met tous les atouts de votre cĂŽtĂ© pour un futur souhaitable, ça vaut peut-ĂȘtre le coup de s'y pencher, non ?
C'est aussi un chouette moyen de co-créer à plusieurs, famille, amis, co-propriétaires, voisins dans la joie et la bonne humeur !
29/03/2024
AprÚs avoir entamé le processus de design aux étapes B (buts) et O (Observation), nous allons continuer à faire le focus du global au détail.
Nous avons vu ce que nous voulions (Buts, objectifs), et commencé à faire l'inventaire de ce que nous avions sur place (Observation). Il nous reste à approfondir désormais les points limitants et positifs de notre projet, et commencer à en faire une critique constructive et proactive.
Cette Ă©tape se vit en miroir avec celle qui suit, les ressources.
Nous allons mettre l'accent sur ce qui risque de poser soucis, non pour se morfondre mais pour anticiper des stratégies et des ajustements nécessaires. Il vaut toujours mieux lever les loups et gérer les problÚmes et déséquilibres en amont, pas une fois que le projet est réalisé ou en cours !
Les limites Ă dĂ©finir peuvent ĂȘtre matĂ©rielles :
limites du terrain : bornes, murs, ruisseau, ...
surface du terrain : trop vaste (grave), trop petit (moins grave)
forme du terrain : morcelé, encaissé
topographie : trop plat, trop pentu
voies d'accÚs : plus ou poins pentues, mal carrossées, accÚs difficile, ....
localisation : ville/campagne/trÚs peuplé/désert
le voisinage : pollution visuelle ou sonore, voisins et Ă©lus locaux peu accueillants et coopĂ©ratifs. Nous verrons que le voisinage peut (doit) ĂȘtre Ă©galement une ressource riche.
risques naturels
sol, climat difficile
etc
Les limites peuvent (et sont) tout aussi bien immatérielles en ce qui concerne l'environnement :
rĂšglementation (zones ZNIEFF, bĂątiments de France, terrain militaire, etc).
contexte économique défavorable (pas ou peu d'emplois, de richesses, éloignement des centres urbains, ...)
Mais aussi (et surtout) le(s) porteur(s) de projet :
santé, capacité physique, ùge
expérience, formation
temps Ă consacrer au projet (travail Ă temps plein, obligations familiales, associatives etc)
nombre de personnes pour réaliser et entretenir le systÚme
budget. Si faible, il va falloir vous organiser différemment et partir de la conclusion que ça va prendre plus de temps...
détermination et pugnacité. Pourquoi on n'utilise plus assez ce mot d'ailleurs ?
Cet inventaire Ă la PrĂ©vert des catastrophes potentielles est un gros morceau, pas le plus sympa mais tellement INDISPENSABLE. Point de nĂ©gativitĂ© gratuite, ici on tente de sortir du rĂȘve et de se frotter Ă la rĂ©alitĂ© du terrain et Ă la notre. Et de voir si les deux sont compatibles.
Anticiper les problÚmes va vous permettre de faire le tri sur les limites surmontables et celles qui ne le sont pas, ou alors contre une forte dépense d'énergie et/ou d'argent. Et in fine se poser les bonnes questions, du style : "est-ce que ça vaut le coup ?", pour vous interroger sur vos objectifs pour éventuellement les redéfinir, les adapter ou carrément changer de projet ou de lieu. Pour un projet de vie personnel mais surtout collectif ou familial, on ne peut décemment pas en faire l'économie (prendre soin de l'Humain, toussa).
MAIS, l'autre face de la médaille c'est que vous regorgez aussi de ressources personnelles, et sur le lieu. Et il est intéressant de les lister car elles représentent tout ce qui peut vous aider dans votre projet
Comme les limites, elles peuvent ĂȘtre matĂ©rielles :
ressources en eau : puits, source, ruisseau
arbres fruitiers
biodiversité forte
sol de trÚs belle qualité
bĂątiments existants et utilisables
accĂšs nombreux et en bon Ă©tat
etc
Et toujours aussi immatérielles :
connaissances et savoir-faire
capacités physiques
du temps Ă consacrer au projet
voisinage : amical et aidant (agriculteurs donnant du fumier, mamie d'Ă cĂŽtĂ© qui fait des confitures ou donne des Ćufs, etc). Le tissu social local est fondamental dans la rĂ©silience et la survie Ă long terme de votre projet. Mais, telle une petite plantule, ce n'est qu'en en prenant soin et en l'arrosant rĂ©guliĂšrement qu'elle pourra pousser et grandir durablement. C'est aussi votre travail.
budget conséquent (emprunt, capital disponible, etc)
tissu local associatif, militant et actif
etc
Comme dans la partie "limites", cet inventaire (positif cette fois !) va nous permettre de redéfinir notre projet à l'aune des potentialités présentes : rajouter des éléments, des objectifs, actualiser à la baisse certains temps de travaux, regagner confiance.
Rappel : A ce stade, on sait ce qu'on veut (Buts), on sait ce qu'on a (Observation), on connaĂźt nos points de vigilance (Limites) et nos atouts (Ressources).
On a donc une quantité d'informations importante à traiter. La phase d'Analyse va nous permettre d'utiliser tous ces datas pour organiser au mieux un systÚme cohérent entre nos objectifs, nos moyens et le site. Et de placer (enfin) les éléments à leur place définitive.
la carte des secteurs : comme déjà vue au chapitre précédent, elle compile beaucoup d'informations sur le lieu et surtout sur les flux qui le traverse (soleil, vents, air froid, eau, mais aussi bruits dérangeants, cÎnes visuels à favoriser ou au contraire à cacher, etc). Elle est déjà une ressource trÚs importante qu'il faudra utiliser pour placer nos éléments (ou non d'ailleurs).
le zonage :
La permaculture est un outil d'optimisation énergétique. Or, la premiÚre énergie que l'on injecte dans le systÚme, ce sont nos simples déplacements et par ricochet ceux des matiÚres et des flux.
Prenons l'exemple du poulailler. On sait qu'Ă priori on va y aller 2 fois/jour (pour ouvrir/fermer et ramasser les Ćufs). Si le poulailler n'est qu'Ă 5 mĂštres de la maison, cela reprĂ©sente (5x4)x365 = 7,3 km/an. Si on l'a placĂ© plus loin, mettons 15m (ce qui n'est pas encore Ă©norme), on arrive dĂ©jĂ Ă presque 22 km !
Ăa marche aussi avec le volume horaire : s'il est Ă 10 secondes de la maison, cela reprĂ©sente environ 4 heures annuellement et prĂšs de 12h/an s'il est Ă 30 secondes de marche !!
Et ce qui est bon pour le poulailler l'est pour tout le reste : potager, compost, verger et animaux divers etc... Attention Ă ne pas s'Ă©puiser et rester dans la 1Ăšre Ă©thique "Prendre soin de l'Humain" ...
On va donc créer une typologie de "zones" inversement proportionnelles à l'intensité énergétique que l'on va y mettre (et donc à la proximité de la maison), voir figure ci-dessus.
Je le développerais bien plus dans un prochain article. C'est une base en permaculture qui passe souvent à la trappe alors que c'est un outil puissant et trÚs intéressant pour l'organisation spatiale et la stratégie globale du systÚme...
L'analyse fonctionnelle
L'objectif du design, comme l'expliquait Mollison, est de "boucler la boucle" : faire que les besoins de certains éléments soient remplis par les besoins des autres, créer un systÚme "fermé" le plus autonome avec le moins d'entretien et de maintenance possible.
Il faut donc pour cela déterminer pour chaque élément ses besoins et ses produits/fonctions et voir ensuite quel autre élément pourra remplir ses besoins ou utiliser ses produits.
Exemple classique avec la poule, le couteau-suisse du permaculteur :)
Cet exercice peut/doit ĂȘtre fait pour tous les Ă©lĂ©ments et ainsi les interrelations vont apparaĂźtre d'elles-mĂȘme.
NB : Les éléments à mettre en place dépendent bien sûr de vos objectifs, de votre lieu et de l'utilisation que vous en faites. Néanmoins, voici des éléments de base que l'on retrouve trÚs souvent : la maison, le poulailler, la serre, le potager, le compost, verger, la mare, etc.
Une fois que l'on a repéré par des flÚches les éléments qui remplissent les besoins des autres par leurs produits ou fonctions, on a une vision claire de ceux qu'on doit mettre ensemble, ou le plus prÚs possible pour que les synergies soient les plus efficaces. C'est trÚs net pour des éléments comme le poulailler, la serre, le potager.
Exemples :
=> si l'on décide d'utiliser la fumure des poules pour le jardin, on placera le poulailler le plus prÚs possible (pas dedans !!)
=> on peut utiliser une partie de la serre comme abri pour les poules
=> on peut décider de placer le composteur dans la serre également (accélération du compostage, ressources nombreuses, et pourquoi pas utilisation des vers de terreau pour nourrir les poules, etc...
=> on peut dĂ©cider d'utiliser l'eau de rĂ©cupĂ©ration de la serre pour les poules, l'arrosage ou mĂȘme stockage dans la serre Ă©galement pour de l'inertie thermique, etc.
Les informations données par le zonage, la carte des secteurs et l'analyse fonctionnelle nous permettent d'avoir un cadre dans lequel il ne nous reste plus qu'à nous amuser, imaginer des stratégies. Je vois toujours cela comme un jeu de de réflexion, un puzzle biologique !
on sait ce qu'on veut
on sait ce qu'on a (avantages et inconvénients)
on sait oĂč placer les choses
ne reste plus qu'à le formaliser par un plan, un "design" et entrevoir le futur. Mais ça, c'est pour le prochain article ;)
29/03/2024
Le terme "Design" est un anglicisme difficile à traduire en français. En effet son sens premier est "dessin" comme en français : " Le but premier du design est d'inventer, d'améliorer ou de faciliter l'usage ou le processus d'un élément ayant à interagir avec un produit ou un service matériel ou virtuel". Mais son deuxiÚme sens, inexistant en français est également "dessein" : l'objectif sous-jacent du dessin, ce qu'on cherche à obtenir. C'est pour cette raison que le terme "design", bien que pompeux reste le plus juste à ce jour pour définir la conception en permaculture. Pour les anglophobes, on peux rester sur cette derniÚre traduction.
AprĂšs avoir dĂ©veloppĂ© l'objectif de la conception en permaculture ainsi que les patterns de fonctionnement du vivant, nous allons voir ensemble une mĂ©thodologie simple et efficace. Il y en a plusieurs, cette derniĂšre me semble la plus simple et la plus complĂšte. Cela pourra parler Ă certains d'entre vous car c'est l'adaptation d'une stratĂ©gie de management de projet bien connue. Bienvenue dans le cĆur de la permaculture...
J'ai préféré scinder cet article en 3 pour une meilleure digestion : bon appétit !
Sous cet affreux acronyme se cache une mĂ©thodologie qui va vous permettre de crĂ©er un Ă©cosystĂšme humain rĂ©silient et productif, oĂč les besoins des uns sont remplis par les produits ou fonctions des autres, un systĂšme le plus autonome possible, productif et rĂ©silient, fournissant des services Ă©cosystĂ©miques et augmentant la biodiversitĂ©. On trouve parfois des variantes, car cette mĂ©thode est rĂ©guliĂšrement utilisĂ©e, testĂ©e et amĂ©liorĂ©e par des permaculteurs du monde entier.
Certaines méthodes (je pense en particulier à OBREDIM) sont intéressantes mais j'ai toujours eu une impression de manque, de "pas fini" jusqu'à ce que je découvre BOLRADIME et que je comprenne qu'il manquait justement le plus important : l'objectif de son design. Et ça change tout.
En effet : qu'est-ce que je veux ? Quels sont mes rĂȘves, mes objectifs ? Se passer de cette question c'est ĂȘtre Ă peu prĂšs certain de se planter dans son design ou alors faire une conception centrĂ©e sur le lieu et pas sur les habitants du lieu.
Or je rappelle à toutes fins utiles que l'objectif de la permaculture est de créer un écosystÚme humain. La Nature en tant que telle n'a pas besoin de design, merci pour elle, en revanche l'homo sapiens qui habite le lieu, oui. Je reste toujours émerveillé par cette disposition de certains permaculteurs à faire un processus de design sans objectifs définis...
On peut commencer par la Vision, le rĂȘve : l'idĂ©e gĂ©nĂ©rale, sans pour l'instant de chiffres ou de calendrier prĂ©cis :
créer un havre pour la biodiversité sauvage
créer une ferme-école
monter un projet d'autosuffisance vivriĂšre familiale
devenir maraĂźcher en permaculture
faire un élevage extensif de hérissons à paillettes ou de licornes à pois verts.
etc
Maintenant pour aller plus loin, il nous faut un maximum d'informations complĂ©mentaires qui nous permettrons d'affiner plus tard nos exigences de design. En effet, vos objectifs doivent ĂȘtre SMART (acronyme DANS l'acronyme) :
Spécifiques : focalisez-vous sur un objectif principal au lieu de vous noyer dans pleins de sous-objectifs surnuméraires. Cela vous aidera à avancer plus vite et prioriser.
Mesurables : autant que faire ce peut, on doit pouvoir donner les chiffres de ce qu'on souhaite avoir : dégager 20000 euros/an de CA, obtenir 75% d'autonomie alimentaire, etc.
AcceptĂ©s par tous : on ne compte plus les couples qui explosent ou les collectifs qui fondent comme neige au soleil parce que le projet final n'Ă©tait pas clair pour tout le monde dĂšs le dĂ©part ! Les tenants et les aboutissants n'ont pas tous Ă©tĂ© explicitĂ©s, il y a eu des non-dits, des suppositions, voire des oublis... De l'importance d'une transparence totale dĂšs le dĂ©part, dĂšs l'idĂ©e mĂȘme...
Réalistes : non, l'élevage extensif de hérissons à paillettes ou de licornes à pois verts n'est pas réaliste, désolé.
Inscrits dans le Temps : En combien d'annĂ©es puis-je atteindre mon/mes objectifs ? Il peut ĂȘtre intĂ©ressant ou nĂ©cessaire d'effectuer une ventilation des travaux sur plusieurs annĂ©es, avec un ou des objectifs complĂ©mentaires tous les ans. Le Design est une planification dans l'espace et dans le temps. Fini le jour-le-jour, nous planifions dĂ©sormais sur le temps long.
A l'issue de cette premiĂšre partie, vous ĂȘtes capables de dĂ©crire de maniĂšre chiffrĂ©e et Ă©talĂ©e dans le temps prĂ©cisĂ©ment votre objectif personnel ou collectif. A partir de maintenant on peut sortir du brouillard et avancer dans une direction bien prĂ©cise.
Un autre GROS morceau, peut-ĂȘtre le plus gros.
En permaculture, on part du principe qu'on va adapter nos projets et envies Ă notre biotope. Et pas le contraire. Ăa peut sembler Ă©vident, et pourtant .... Comme l'idĂ©e n'est pas de gĂ©rer des dĂ©sĂ©quilibres ou de la pathologie vĂ©gĂ©tale parce que rien n'est adaptĂ© au contexte, on va donc apprendre Ă connaĂźtre prĂ©cisĂ©ment ce contexte pour voir si nos objectifs sont dĂ©jĂ cohĂ©rents avec notre terroir #bonsens
On dit qu'il faut minimum 1 an d'observation avant d'effectuer la moindre action. En effet, il est de bon ton d'avoir fait le tour du cadran annuel pour pouvoir connaßtre son lieu sous toutes les saisons : des zones humides et ombragées insoupçonnées peuvent apparaßtre en saison froide, ou des zones trÚs (trop) sÚches se laisser découvrir inopinément.
Cette période permet aussi de se familiariser à son lieu, apprendre à se connaßtre mutuellement, distinguer des zones spécifiques, connaßtre ses voisins et co-habitants non-humains, reconnaßtre les ressources et les limites de son lieu.
Différents types d'observations, complémentaires et antagonistes :
l'observation analytique : tenter de comprendre, lister, détailler, se documenter, analyser le sol, le climat et toutes les interactions potentielles ou existantes.
l'observation sensible : marcher lentement sur le terrain, se contenter d'accueillir les sensations de froid, de chaud, de vent, de bruit, la dureté du sol, etc. En déconnectant le mental, en misant tout sur le ressenti, on obtient des informations inédites qui nous serviront pour le design.
Bien reprenons maintenant le contrĂŽle de notre mental :)
Voici un principe de permaculture utile et fondamental pour ne pas se perdre dans les observations : partir du global pour aller au détail.
Le global ça peut ĂȘtre une photographie aĂ©rienne, une carte Ă petite Ă©chelle (donc grand angle), qui va nous donner les influences les plus macroscopiques pour aller de plus en plus vers le terrain, jusqu'Ă l'analyse fine du sol et des interactions les plus infimes. Ce principe nous permet de ne pas nous perdre dans les points Ă lister et nous donne une ligne Ă suivre.
Voici une liste des éléments fondamentaux qu'il vous faut connaßtre sur votre lieu, du global en focalisant ensuite sur les détails :
la zone climatique. Il en existe plusieurs, ont utilisera prĂ©fĂ©rentiellement le classement USDA. Ces zones de rusticitĂ© sont pertinentes pour notre biorĂ©gion tempĂ©rĂ©e oĂč elles se rĂ©vĂšlent efficaces dans de nombreuses situations car c'est souvent les basses tempĂ©ratures d'hiver qui conditionnent la possibilitĂ© de cultiver un vĂ©gĂ©tal en extĂ©rieur. De l'intĂ©rĂȘt de connaĂźtre les tempĂ©ratures minimales et non moyennes.
Ce classement ne prend pas en compte les influences climatiques, capables de modifier le premier diagnostic ci-dessus : altitude, influence continentale, océanique, vents dominants, proximité de grandes quantité d'eau (lac, fleuve) etc.
on affine le topo climatique, avec des données météos, des informations chiffrées récupérées sur différents sites. Un maximum d'infos ici avec la possibilité de croiser et de comparer les datas (pratique pour voir l'évolution du climat). Attention aux vents dominants, ils peuvent changer au cours de l'année et avoir des actions différentes selon l'année (desséchant/humide/chaud/froid). Météofrance fait bien le job aussi (mais payant). Au niveau pluviométrie, ce n'est pas tant la pluviométrie annuelle que sa répartition sur l'année qui nous intéresse. Par exemple il pleut à peu prÚs autant chez nous dans le cantal qu'en Bretagne. En revanche la répartition est totalement différente (nous avons désormais des saisons trÚs sÚches et d'autres trÚs humides alors qu'en Bretagne ça se lisse plus sur l'année). Ce qui change TOUT au niveau des stratégies que l'on va mettre en place.
Au croisement de global et du détail se trouve la topographie. En effet, l'exposition va nuancer plus ou moins les observations faites plus haut : exposition nord/sud, exposition aux vents froids/chauds. Le pourcentage de pente va aussi grandement influencer le cycle de l'eau sur le terrain : ruissellement au lieu de l'infiltration, systÚme dégradant/systÚme aggradant.
L'eau, point le plus important. Sa prĂ©sence/absence, sa nature, son dĂ©bit va conditionner tout ce que vous allez mettre en place en terme de culture et de gestion. OĂč entre l'eau sur mon terrain ? OĂč repart-elle ? Combien de ressources en eau ? Nature ? (source, rĂ©cupĂ©ration d'eau pluviale, rĂ©seau, ...). QualitĂ© potable, potentiellement polluĂ©e, impropre Ă la consommation, etc.
A ce point, on peut commencer Ă rĂ©aliser une analyse des secteurs pour poser certains points dĂ©jĂ vus plus haut. C'est une vision globale du lieu avec les informations contextuelles les plus prĂ©cises possible, avec un focus sur les flux : zones climatiques, cĂŽnes visuels, accĂšs, rĂ©seau hydrographique, course du soleil l'Ă©tĂ© et l'hiver (pour mettre l'accent sur les zones d'ombres) et toute information qu'il peut ĂȘtre judicieux de valoriser. Ci-dessous, l'exemple de la ferme des Escuroux :
Le sol : pH (acidité ou alcalinité), profondeur, texture (pourcentage de limons, argiles, sables), structure (caractérise la richesse organique de son sol), nature de la roche-mÚre.
Végétaux et groupes floristiques existants : la recherche des plantes bio-indicatrices va complémenter et préciser à merveille les informations que nous avons déjà : richesse du sol, fraicheur (ou pas), acidité, profondeur, richesse organique et/ou minérale etc...
Les accĂšs : Ils sont la colonne vertĂ©brale de votre futur systĂšme, lĂ oĂč circulent matĂ©riaux, Ă©nergies, humains, rĂ©coltes etc. Ils vont donc conditionner le zonage de votre terrain. Ils peuvent ĂȘtre existants, Ă amĂ©liorer, ou totalement Ă refaire si votre systĂšme est profondĂ©ment diffĂ©rent de l'existant de base.
Les bĂątiments : en gĂ©nĂ©ral on est obligĂ© de faire avec, ils peuvent ĂȘtre une ressource trĂšs importante : stockage, lieu de vie, d'Ă©levage, rĂ©cupĂ©ration des eaux pluviales, crĂ©ation de micro-climats, culture sur les toits why not, etc.
Voici la premiÚre partie de votre travail. Elle permet de poser le plus important : ce qu'on veut et ce qu'on a. Nous allons voir dans un deuxiÚme chapitre la pertinence entre ces deux points et donc la pérennité de votre projet sur ce lieu.
29/03/2024
Cette hyper fertilité (matiÚres organiques, minéraux, associations microbiennes et fongiques) présente sur place est conditionnée par la présence d'un couvert forestier à un stade suffisamment avancé. La disparition de la Silva va entraßner une crise de cette fertilité. Les hommes ont mangé leur pain blanc et vont devoir mettre en place des transferts de fertilité artificiels, créer de nouvelles stratégies pour retrouver la possibilité de cultiver leurs plantes annuelles dans de bonnes conditions.
A partir de l'antiquitĂ© on va dĂ©finir 3 typologies de territoires agricoles. HĂ©ritĂ©e des romains (qui l'ont peut-ĂȘtre hĂ©ritĂ© des gaulois, trĂšs bons agriculteurs), cette nomenclature a profondĂ©ment marquĂ© le territoire rural et est Ă la base de cette nouvelle stratĂ©gie agricole post-brĂ»lis :
l'ager : les zones cultivĂ©es Ă proprement parler : cĂ©rĂ©ales, lĂ©gumineuses. Ce sont des zones ouvertes, principalement labourĂ©es. La fertilitĂ© doit ĂȘtre importĂ©e car on est en dĂ©but de succession Ă©cologique (retour Ă la tabula rasa) et tout est exportĂ© pour l'Homme
le saltus : zones peu ou pas exploitées. Il comprend les prairies permanentes et tout un patchwork de zones semi-naturelles avec une dominance boisée : pré-vergers, ripisylve, haies, bandes enherbées, broussailles, zones humides etc... C'est principalement le lieu du pacage, l'Homme laissant au bétail le soin d'entretenir le saltus
la silva : la forĂȘt sauvage ou exploitĂ©e.
C'était autrefois la silva qui avait le rÎle de production de la fertilité pour l'ensemble du systÚme. Ce rÎle est désormais dévolu au saltus, laissé en périphérie de l'ager et dans les zones moins productives. La biomasse produite par le saltus est valorisée par les animaux domestiques et transférée sous forme de fumier soigneusement collecté et épandu dans les champs cultivés constitutifs de l'ager. C'est l'élément fondamental du bon fonctionnement des systÚmes de polyculture-élevage.
Ce nouveau systĂšme, en plus des techniques de l'araire (premier prĂ©-labour) de la jachĂšre (historiquement, une succession de travaux du sol pour prĂ©parer les semences d'automne) va permettre de mettre au point des stratĂ©gies agricoles innovantes et diversifiĂ©es. Il nĂ©cessite nĂ©anmoins de l'organisation fine et surtout beaucoup plus de travail que les premiĂšres formes d'agriculture, car les transferts de fertilitĂ© ne sont plus passifs et doivent ĂȘtre mis en place artificiellement (sans compter la dĂ©sormais prĂ©valence des cĂ©rĂ©ales et leur cortĂšge de travail du sol).
Il nécessite donc le maillage d'un saltus diversifié et productif sur tout le territoire et d'une gestion fine des fumures.
Ce dernier n'est pas qu'une source d'alimentation du bétail, il est multiproductif par essence : fruits, petits fruits, fruits à coques, arbres à fourrage, petit bois de chauffage et offrira les services écosystémiques que l'on connaßt bien maintenant : protection bioclimatique, lutte contre l'érosion, source de fertilité en terme de matiÚre organique et de carbone, gßte et couvert pour toute une faune auxiliaire, corridor écologique, ...
L'Ager est principalement situé désormais dans la partie nord de la Loire : Beauce, Picardie, Champagne,...
Le plus gros de l'Ă©levage se situe plutĂŽt vers la Bretagne
Le reste de polyculture-Ă©levage et d'exploitation de la forĂȘt se trouve majoritairement au niveau des massifs.
Et sinon on nourrit aussi du bétail avec du tourteau de soja argentin...
On a donc un systÚme déstructuré, ou les transferts de fertilité nécessaires pour des agro-écosystÚmes artificiels sont désormais impossibles. Un systÚme totalement déficitaire qui coûte bien plus cher à entretenir et réparer ses conséquences que ce qu'il rapporte. En effet, les cycles des éléments étant brisés, on gÚre tout à tour les excÚs (engrais azotés, effluents d'élevage, pesticides) et les manques (matiÚre organique, eau, vie du sol)
L'agriculture moderne est une impasse car il lui manque l'élément fondamental de tout systÚme productif naturel qui boucle les cycles de nutriments de maniÚre autonome : l'Arbre.
RĂ©sumons :
Dans le contexte des chasseurs-cueilleurs, les zones ouvertes, fermées sont réparties irréguliÚrement sur le territoire car entretenues par le bétail sauvage. Il faut donc marcher pour trouver des écosystÚmes différents. En revanche la fertilité due à la présence arborée est omniprésente.
Dans le contexte des premiers cultivateurs néolithiques, les différentes typologies d'espaces sont crées artificiellement par le feu et réparties réguliÚrement. La fertilité est abondante et ne demande pas de travail de transfert. A la limite que les rotations soient assez longues... Dans ce cas, c'est la silva qui domine, le saltus forme des mosaïques de paysages plus ou moins refermés car il remplace rapidement un ager fugace de quelques années.
Dans le nouveau contexte agricole hérité de l'antiquité, c'est donc le saltus qui joue le rÎle de transfert de fertilité car il est omniprésent à la périphérie des champs cultivés (ager, mais vous l'aviez deviné) et multiforme (haies, bocages, friches, zones humides, etc...).
Actuellement, tout le systĂšme est Ă©clatĂ© : ager prĂ©pondĂ©rant, saltus dĂ©truit, silva relĂ©guĂ©e Ă des reliques rĂ©siduelles. Et au sein mĂȘme de l'ager, les productions qui pourraient Ă©ventuellement ĂȘtre dans une certaine synergie (Ă©levage/culture) sont Ă©clatĂ©es sur le territoire.
La vie de chasseurs-cueilleurs n'est plus possible ni souhaitable, la culture sur brûlis est d'un autre temps et globalement un bon gùchis. L'ancien systÚme ager/silva/saltus n'était finalement pas mauvais mais comment l'adapter à des contextes et des moyens de production qui ont totalement changés ? Comment optimiser les intrants et l'énergie injectée pour que le systÚme demande (beaucoup) moins d'effort qu'autrefois?
En pleine crise environnementale, alimentaire et mĂȘme philosophique, on se pose beaucoup de questions car il faut bien avouer que notre mode de culture dĂ©truit notre environnement (parallĂšle intĂ©ressant qui est que ce que nous mangeons nous tue Ă©galement). Des recherches, des expĂ©rimentations sont menĂ©es pour trouver des remĂšdes urgents. On redĂ©couvre les fonctions Ă©cosystĂ©miques des arbres, des champignons, le fonctionnement des sols, le cycle de l'eau et les cycles biogĂ©ochimiques faisant marcher tout cela. Dans une certaine mesure on redĂ©couvre aussi nos fondamentaux alimentaires...
Des solutions semblent alors Ă©merger d'elles-mĂȘme et fournissent beaucoup d'espoir pour l'avenir :
agroforesterie,
cultures pérennes,
haies multi-étagées
forĂȘt-jardin
Ăa ne vous rappelle rien?
L'humain est en train de rĂ©inventer les concepts agricoles qui l'ont fait vivre pendant des millĂ©naires alors mĂȘme que ce qu'il tient comme la norme est un clignement de paupiĂšre Ă son Ă©chelle.
Elle en est l'essence mĂȘme. Elle porte Ă bout de bras toutes ces techniques car elles sont la base d'une sociĂ©tĂ© humaine durable, telle que l'a Ă©tĂ© la nĂŽtre pendant des lustres.
Elle est en fait le plan de montage, lâavĂšnement d'un saltus optimisĂ©, trĂšs productif et... omniprĂ©sent. GrĂące au design, la conception permaculturelle permet de crĂ©er un maillage synergique de structures pĂ©rennes productives. Elle n'exclue pas l'ager, mais n'en fait pas le centre du systĂšme. Elle rĂ©Ă©quilibre les 3 composantes fondamentales de ce qu'est un vĂ©ritable systĂšme agro-sylvo-pastoral.
Car la silva n'est pas oubliĂ©e, c'est notre fameuse zone 5 en permaculture. Elle fait mĂȘme partie intĂ©grante de la conception dĂ©s le dĂ©part. Son influence doit ĂȘtre importante sur tout le systĂšme, dans toutes les zones grĂące Ă des corridors Ă©cologiques et autres haies productives.
Loin de rĂ©inventer la roue, ou d'ĂȘtre au top de la modernitĂ©, la permaculture telle que la dĂ©crit ses concepteurs Mollison et Holmgren, s'inspire des sociĂ©tĂ©s traditionnelles et des derniĂšres dĂ©couvertes en biologie, botanique, pĂ©dologie, bioclimatisme etc.
Elle est une synthĂšse de ce qui a Ă©tĂ© fait, un pont entre le passĂ© et le prĂ©sent, avec un goĂ»t certain pour un avenir d'abondance. Car le dĂ©fi qui nous est donnĂ© aujourd'hui, c'est de faire rapidement une transition vers des mĂ©thodes d'alimentation vertueuses, locales et diversifiĂ©es avant que l'agriculture industrielle ne finisse d'emporter la planĂšte dans le gouffre. Car Ă ce moment lĂ , nous ne pourrons plus compter sur une Nature riche et abondante pour nous sauver. C'est la contre partie de lâanthropocĂšne...
Sources :
https://espacepolitique.revues.org/1495
courrier de l'environnement de l'INRA, n°57, juillet 2009
"Histoire des agricultures du monde. Du Néolithique à la crise contemporaine", Marcel Mazoyer et Laurence Roudart, Seuil, Paris, 1997 (rééd. 1998, 2002)
"Agriculture de régénération", Mark Sheppard, édition Imagine un colibri, 2016
29/03/2024
Ce texte est issu de recherches et de questionnements personnels sur une question qui me taraude quasi-quotidiennement, concernant le rapport Ă notre environnement et sur l'agriculture plus prĂ©cisĂ©ment : "comment diable en est-on arrivĂ© lĂ ?". Comment les processus de fabrication de notre alimentation dĂ©sĂ©quilibrĂ©e peuvent-ils ĂȘtre nĂ©fastes Ă ce point pour la biosphĂšre? Pourquoi le simple fait de produire une cĂ©rĂ©ale annuelle demande-t-il autant d'Ă©nergie et procure-t-il autant de dĂ©sagrĂ©ments biologiques, mais aussi Ă©conomiques et sociaux ?
Notre systĂšme agricole (comme le reste de la sociĂ©tĂ© d'ailleurs) est un clignement dâĆil Ă l'Ă©chelle de l'Humain. Ce qu'il tient pour acquis et la norme ne le nourrit pourtant que depuis quelques siĂšcles en regard de ces millions d'annĂ©es de chasse et de cueillette. Et au vu des rĂ©sultats ce systĂšme ne le nourrira plus bien longtemps.
En se penchant sur le passĂ© on peut tenter d'entrevoir le dĂ©roulement Ă travers le temps et l'espace du fil de cette grande Histoire de l'agriculture. Une histoire qui se perd dans les brumes des grandes forĂȘts hercyniennes pour finir dans les sols morts de nos grandes cultures. Le recul et la causalitĂ© permettent de mieux comprendre comment, de l'Ă©tat de Nature, l'humain est arrivĂ© Ă dĂ©truire son propre environnement pour pouvoir perdurer en tant quâespĂšce.
Une espĂšce amnĂ©sique qui a vĂ©cu de longue pĂ©riodes dans des conditions drastiquement diffĂ©rentes de ce qu'elle tient pour immuable aujourd'hui. Nous allons voir que les bribes de cette mĂ©moire peuvent nous permettre d'imaginer des solutions pour perdurer durablement cette fois dans le futur, en allant dans un sens que nous n'aurions jamais dĂ» cesser de suivre, celui de la Nature. Et il se trouve que ces solutions Ă©mergent de plus en plus d'elles-mĂȘme en ce moment, un "pont" temporel qui nous fera peut-ĂȘtre retrouver notre place au sein des Ă©cosystĂšmes...
"Nous sommes faits par d'autres et par de plus anciens que nous" Pascal Quignard
L'idĂ©e que la quasi-totalitĂ© de la surface europĂ©enne Ă©tait couverte il y a 10000 ans de forĂȘts sombres et impĂ©nĂ©trables reste Ă nuancer. En effet les rares lambeaux de cette forĂȘt primordiale dite "vierge" demeurent principalement en Pologne, Ă Bialowieza et offrent un regard inĂ©dit sur la forĂȘt : des espaces relativement ouverts, riches en sous-Ă©tages et clairiĂšres avec beaucoup de bois morts. L'on oublie souvent que nos Ă©cosystĂšmes forestiers n'ont pas toujours Ă©tĂ© ce qu'ils sont aujourd'hui, c'est Ă dire des milieux morcelĂ©s, dĂ©gradĂ©s, pauvres en biodiversitĂ© et en cours d'Ă©volution. En effet il y a encore quelques siĂšcles, Charlemagne chassait encore le bison d'europe et l'auroch. Les hardes de cerfs Ă©laphes paissaient dans un paysage de savane et de milieux semi-ouverts car n'oublions pas que tout ce joli monde mange... de l'herbe. Des forĂȘts avec de l'herbe, voilĂ une drĂŽle d'image !
Ces animaux créaient et entretenaient donc des espaces ouverts au sein des massifs forestiers et ce, au gré de leurs migrations. A savoir que le bon déroulement de leurs déplacements, orchestrés par une prédation active des carnivores, permettait un entretien optimal des surfaces herbeuses, sans pùturage excessif.
On observait donc des Ă©cosystĂšmes forestiers, de plaines ouvertes et semi-ouvertes et un nombre exponentiel de lisiĂšres combinant les caractĂ©ristiques des milieux la composant. C'est dans ces mosaĂŻques de biotopes extraordinairement riches que sont arrivĂ©s et on prospĂ©rĂ© nos ancĂȘtres chasseurs-cueilleurs, nĂ©andertaliens et Cro-Magnon ensuite.
Tout allait pour le mieux quand sont arrivĂ©s d'Orient des peuples de cultivateurs et d'Ă©leveurs avec des techniques qui allaient changer la face du monde et nous faire entrer bien plus vite que prĂ©vu dans lâanthropocĂšne.
Les cueilleurs du palĂ©olithique avaient coutumes de ramasser et de stocker les cĂ©rĂ©ales et lĂ©gumineuses. Les cultivateurs vont apporter des semences et des techniques d'agriculture qui, en Ă©tant pourtant trĂšs rudimentaires, sont extrĂȘmement efficaces.
Ce petit aparté pour mettre en relief la nouveauté qu'offre la mise en culture d'annuelles par rapport à la cueillette sauvage. Les céréales et légumineuses annuelles ont des avantages fondamentaux : ils offrent une nourriture trÚs calorique et surtout des capacités de stockage inédites dans l'histoire, rendues également possibles par des techniques céramiques innovantes. Cette facilité de stockage permet également une planification précise et un partage des récoltes pour les semis. La sédentarisation devient à ce moment précis, une nécessité.
Le problÚme avec les annuelles, c'est qu'elles nous obligent à aller dans le sens inverse de la succession écologique, c'est à dire retourner à une étape primaire de sols relativement superficiels et de milieux clairement ouverts, stade optimum pour leur développement. Pour cultiver les annuelles, nous sommes obliger de désertifier artificiellement le milieu : c'est la naissance du travail du sol et de la transformation radicale que cela va engendrer pour toute la biosphÚre planétaire.
Cette agriculture change absolument TOUT : le rapport Ă la Nature, au temps, Ă l'espace, au pouvoir, au temps libre, au travail, lâĂ©tat sanitaire, la dĂ©mographie etc. Le triptyque paysans/clergĂ©/soldats dĂ©coule directement d'une stratification issue de cette nouvelle sociĂ©tĂ© inĂ©galitaire oĂč l'on observe une concentration des pouvoirs inĂ©dite qui perdure jusqu'Ă maintenant.
C'est la culture des céréales qui a permis la création des premiÚres villes, des premiÚres sociétés modernes. Mais elle a aussi été le début de l'esclavage, des épidémies et des guerres. L' étude de cette problématique des céréales est fondamentale pour comprendre notre société actuelle et ses travers, et elle fera bientÎt l'objet d'un article dédié.
C'est la plus vieille technique agricole au monde. Il est intéressant de savoir que cela reste la technique la plus employée encore aujourd'hui au niveau planétaire. Elle est trÚs simple et s'appuie sur la faculté des écosystÚmes forestiers à se régénérer et recréer de la fertilité naturellement.
Les arbres sont abattus puis brûlés 6 mois, 1 an aprÚs. TrÚs rapidement on sÚme les céréales directement, sans forcément de travail du sol.
Les plantes cultivées trouvent de suite tout ce dont elles ont besoin : un milieu ouvert et lumineux, un sol incroyablement fertile (les sols forestiers restent l'optimum en terme de fertilité) et trÚs riche en minéraux (les cendres) et des rendements pouvant rivaliser avec ce que l'agriculture industrielle peut donner de meilleur.
C'est une maniĂšre simple et efficace d'effectuer cette inversion nĂ©cessaire pour les annuelles et d'effectuer un transfert de fertilitĂ© des arbres et arbustes aux plantes cultivĂ©es. MAIS, cette fertilitĂ© n'est pas durable et la culture durera un an, deux, voire 3 au grand maximum, les cultures devenant rapidement concurrencĂ©es par la flore forestiĂšre et les matiĂšres organiques et minĂ©rales s'Ă©tant largement lessivĂ©es. On laisse ensuite la forĂȘt reprendre ses droit et le sens de sa succession Ă©cologique, allant toujours vers plus de fertilitĂ©. On pourra revenir sur ce terrain et refaire de la culture sur abattis-brĂ»lis d'ici 20, 30 ans ou plus.
Sur le fond : c'est une ouverture de milieu, permettant la mise en lumiĂšre et la crĂ©ation de biotopes diffĂ©rents et surtout de lisiĂšres forestiĂšres trĂšs nombreuses. C'est le mode de rĂ©gĂ©nĂ©ration naturel de la forĂȘt (mise en lumiĂšre, germination des graines d'arbres et de plantes pionniĂšre, etc). Si on laisse la forĂȘt se rĂ©installer, c'est plutĂŽt une bonne chose au niveau de la biodiversitĂ© sur le long terme.
Ce systĂšme fonctionne Ă la condition absolue qu'on laisse Ă la forĂȘt le temps de se rĂ©gĂ©nĂ©rer. Et vous vous doutez bien que c'est Ă ce moment lĂ que ça dĂ©rape...
Comme je l'indiquais un peu plus haut, lâholocĂšne (pĂ©riode commençant il y a 10000 ans avec la fin de la derniĂšre glaciation) est caractĂ©risĂ©e par un rĂ©chauffement trĂšs sensible du climat, ainsi qu'une relative stabilisation des tempĂ©ratures. C'est dans ce contexte que les populations humaines ont rapidement explosĂ©, aidĂ©es en cela par une agriculture qui, bien qu'archaĂŻque, voit ses rĂ©coltes optimisĂ©es par une meilleure prĂ©vision des saisons.
La pression démographique poussant alors a intensifier l'agriculture d'abattis-brûlis, on rentre rapidement dans un cercle vicieux :
Augmentation de la surface défrichée chaque année,
donc diminution de la part de friche et forĂȘt,
donc retour sur une parcelle cultivée plus rapidement,
donc diminution des rendements car la fertilité n'a pas été assez renouvelée,
donc augmentation de la surface cultivée pour compenser la baisse de rendement etc.
Sur des rotations qui Ă©taient de 20, 30 ans, on passe Ă des rotations de plus en plus courtes. A terme, en cas de pression trop importante, le brĂ»lis peut aboutir Ă la disparition de la forĂȘt. C'est notamment ainsi qu'a disparu une grande partie de la forĂȘt mĂ©diterranĂ©enne au NĂ©olithique, laissant la place aux formations dĂ©gradĂ©es (garrigue, maquis) que l'on connait aujourd'hui.
Il est ici intĂ©ressant de noter ici les formidables transformations gĂ©ologiques et climatiques mises en Ćuvre par des humains ne possĂ©dant que des outils en pierre : l'Ă©rosion est telle que les zones en pentes s'Ă©rodent rapidement, les terrains accidentĂ©s deviennent caillouteux, la terre se retrouve dans les fonds de vallĂ©e, crĂ©ant grand nombre de vallĂ©es Ă fond plat, les estuaires se bouchent et deviennent des deltas, la terre avance sur la mer dans certains cas de plusieurs dizaines de kilomĂštres.
Les zones cultivables vont légÚrement augmenter de surface dans un premier temps grùce à l'alluvionnement. C'est la phase B de l'érosion : ce qui est lessivé (argiles, minéraux, matiÚres organiques) sont donc des alluvions et vont se déposer en aval : vallées, riviÚres, fleuves, océan.
C'est désormais le rÚgne du pùturage dans des espaces devenus impropres à la culture. Ce qui permet de tirer néanmoins 10% de ce que ces territoires pouvaient donner auparavant, mais surtout d'accélérer d'avantage l'érosion et la dégradation des sols.
Un autre magnifique exemple du résultat de l'action de l'Homme est la transformation du Sahara en désert, qui était une savane riche il y a 8000 ans et est devenu ce que l'on connait aujourd'hui en l'espace de 3000 ans d'agriculture sur brûlis. Exemple que l'on peut élargir aujourd'hui à l'ensemble du moyen-orient, l'ancien croissant fertile, berceau de l'agriculture. Les riviÚres de lait et de miel sont taries depuis trÚs longtemps...
Comment alors continuer de nourrir correctement une population bien dĂ©cidĂ©e Ă s'accroitre si les fondamentaux de la fertilitĂ© (la forĂȘt ou silva) sont absents ou trĂšs endommagĂ©s?
C'est à ce moment qu'intervient le Saltus, qui, bien que semblant secondaire de prime abord, sera la source de fertilité qui nourrira l'Humanité jusqu'à maintenant...
La suite au prochain Ă©pisode!
27/03/2024
A une Ă©poque oĂč le buzz est roi, et oĂč une mode chasse l'autre Ă la vitesse d'un tweet, la permaculture n'Ă©chappe pas Ă la rĂšgle. On ne compte plus les solutions miracles, les kits tout-en-un pour reproduire le jardin dâĂden sur votre balcon, l'autonomie en 15 jours en mĂ©langeant les poireaux avec des radis ou comment sauver la planĂšte avec des tours Ă patate, etc.
Les gens ont besoin de copier-coller facile à faire et à reproduire, des techniques, des outils qui demandent un minimum d'investissement pour un maximum de résultat (il va s'en dire). Les mythes du jardin du paresseux et de la permabondance-en-3-semaines ont la dent dure et sont, il est vrai trÚs vendeurs.
Mais contrairement Ă ce qui pourrait rassurer l'homme moderne occidental, la nature ne peut ĂȘtre rĂ©duite Ă une Ă©quation mathĂ©matique simpliste et incomplĂšte genre : Butte + paille = autosuffisance alimentaire + bonheur.
Comme j'ai coutume de le dire ce n'est pas compliqué mais c'est complexe : il y a tant de paramÚtres à gérer (équilibres et interactions physico-chimiques, influences macro et microclimatiques, synergies ou concurrences racinaires, état du sol, état du jardinier, etc) qu'assurer quoi que ce soit est trÚs optimiste. De là certainement ce besoin avide de trucs faciles à reproduire parce que bon, faut que ça marche. Et vite. Et de là sans doute rapidement quelques désillusions...
Je parlais d'autocritique car effectivement je suis passĂ© Ă©galement par ces passage forcĂ©s, ma venue Ă la ferme des Escuroux avait justement l'objectif de tester toutes ces techniques et d'arrĂȘter de parler comme un livre.
Je vous offre ici quelques conclusions issues de la pratique et de l'observation sur certains "marronniers" de la permaculture.
Amis qui cherchez des solutions prĂȘtes Ă l'emploi, tournez casaque! Je viens semer le trouble et la dĂ©solation dans vos buttes autofertiles et des fois, mĂȘme, je paille pas mon jardin.
Commençons tout de suite par la tĂȘte de gondole de la permaculture. J'en avais dĂ©jĂ parlĂ© en long, en large et en travers dans trĂšs vieil article, (« droit aux buttes », excellent jeu de mot au demeurant mais article pas encore en ligne).
Je nâenlĂšverais rien de particulier mais au contraire, je l'aggraderais de certaines remarques. AprĂšs avoir soulevĂ© des m3 de terre, rĂ©alisĂ© nombres de linĂ©aires de buttes dans les rĂšgles de l'art (ou pas), je me suis aperçu de plusieurs choses :
J'ai la pĂȘche mais ce n'est pas le cas de tout le monde, la terre est basse et lourde. La quantitĂ© de travail n'est pas nĂ©gligeable et la dĂ©pense Ă©nergĂ©tique (surtout si l'on va chercher de la terre ailleurs) est consĂ©quente. Alors : est-ce bien nĂ©cessaire? Le ratio Ă©nergie dĂ©pensĂ©e/Ă©nergie rĂ©coltĂ©e dĂ©pend fortement du type de sol et n'est donc pas forcĂ©ment intĂ©ressant. Quand on a un sol riche, vivant et Ă©quilibrĂ©, il n'est pas forcĂ©ment judicieux de le creuser pour "mettre des trucs dedans " (j'y reviendrais) ainsi que de tout retourner tel un sanglier affamĂ©.
C'est Ă©ventuellement justifiĂ© quand on a un sol pauvre et lessivable (voir l'exemple de Jean-Marie Lespinasse) que l'on veut amĂ©liorer petit Ă petit ou au contraire un sol engorgĂ© d'eau que l'on veut surĂ©lever pour garder les racines au sec. Ce qui est d'ailleurs la raison d'ĂȘtre originelle des buttes de maraĂźchage (de "marais", zones historiques des productions lĂ©gumiĂšres).
La butte de type "wallner" aussi intéressante soit-elle pour les repiquages, les plantes pérennes, la création de micro-climat, la biodiversité etc, n'est absolument pas utilisable en tant que tel pour faire du maraßchage de production. PremiÚre larme : son profil arrondi si mignon n'est pas mécanisable, ne serait-ce qu'avec du matériel simple. Et c'est en partie là qu'on voit la premiÚre différence fondamentale entre le jardinage et le maraßchage...
Pour faire ses lignes de semis sur une butte il faut recréer du plat sur une pente (à part sur le sommet), donc la "casser". AprÚs pleins d'essais, je peux assurer maintenant que c'est juste un calvaire : on doit s'adapter à une structure qui n'est manifestement pas faite pour ça.
Le repiquage est trĂšs bien, mais certains lĂ©gumes perdent de la vigueur et beaucoup de temps Ă ĂȘtre ainsi dĂ©racinĂ©s. Je pense en particuliers aux salades qui deviennent appĂ©tentes pour les limaces dĂšs lors qu'elles sont repiquĂ©es, ainsi que les lĂ©gumes racines apprĂ©ciant peu ce genre de transferts.
la plate-bande, de profil beaucoup plus plat et légÚrement surélevée, est trÚs souvent utilisée en maraßchage.
le plat, qui aprĂšs tout, s'il n'est pas piĂ©tinĂ© et s'il est traitĂ© de maniĂšre intelligente est aussi vertueux que le reste. Pour ma part, je suis revenu Ă des zones plates (surĂ©levĂ©es tout de mĂȘme) pour pouvoir gĂ©rer les semis correctement et les plantes que je ne repiquerais pas.
Un gros morceau. AprÚs la mode des buttes, est arrivé la mode de la butte 2.0, forcément mieux que la butte 1.0, vous vous doutez bien. Largement débattu, je rajouterais plusieurs choses :
AprĂšs avoir essayĂ© maintes fois et de diffĂ©rentes façons, je n'observe pas pour ma part de diffĂ©rences flagrantes sur la pousse des vĂ©gĂ©taux (mes plus vieilles ont 7 ans). Si diffĂ©rence il y a, ce qui est possible, il faudrait faire alors un protocole d'expĂ©rimentation ad hoc avec tĂ©moins, etc. Elle n'est pour ma part pas suffisante pour justifier tout le bazar nĂ©cessaire Ă sa mise en Ćuvre.
Pire, jâai voulu voir lâĂ©tat de dĂ©composition du bois (dĂ©jĂ ancien pourtant) qui Ă©tait dans certaines buttes depuis 6 ans tout de mĂȘme. RĂ©sultat ? jâaurais pu lancer un barbecue avec. Aucune ou trĂšs peu de dĂ©composition. Pour l'effet "Ă©ponge" on repassera. La logique veut qu'en l'absence dâoxygĂšne, la dĂ©composition du bois est TRES ralentie, voire stoppĂ©e. C'est une bonne mĂ©thode pour obtenir du charbon naturel ou du pĂ©trole, production potentiellement intĂ©ressante mais il reste Ă optimiser le process...
Quand je n'arrive pas à me faire un avis sur quelque chose, je me pose toujours la question de savoir comment tel ou tel processus se passe dans la nature, pour essayer d'avoir un retour d'expérience grùce à un labo riche de 4 milliards d'années en recherche et développement. Force est de constater que le bois tombe SUR le sol, sauf en cas de glissement de terrain.
Une autre boussole fondamentale reste les principes de la permaculture, en particulier celui qui parle de "solutions lentes et de patience" et "du minimum d'effort pour le maximum d'efficacité ". Raté.
Technique devenue incontournable pour la protection du sol, et pour cause. Néanmoins : Avez-vous remarqué la prépondérance des problÚmes de limaces ces derniÚres années, devenus proportionnels à l'engouement national pour la couverture du sol ? Cette problématique peut devenir totalement ingérable en trÚs peu de temps. Quelques pistes :
changer de mulch et dites adieu à la paille : c'est le pire des paillages, en particulier en ce qui concerne les sols lourds et froids. Peu nutritive et trÚs lourde s'il pleut beaucoup, elle reste le 3 étoiles pour les gastéropodes qui y trouvent gßte et couvert idéal. Accessoirement, il reste trÚs difficile de trouver de la paille bio... Préférez le foin (plus tassé, se décompose rapidement), les feuilles ou le BRF (bien composté tant qu'à faire).
le non-paillage : vade retro, satanas ! Peut-ĂȘtre, mais d'aprĂšs mon expĂ©rience lors des Ă©pisodes baveux, les seules salades que nous rĂ©coltons ne sont pas paillĂ©es. Le reste est parti dans le tube digestif des mollusques. Selon le contexte climatique et en particulier lors des invasions de limaces, il peut donc ĂȘtre intĂ©ressant de supprimer temporairement le mulch pour laisser enfin les lĂ©gumes pousser tranquillement. Ce qui, au final, vous en conviendrez, est bien l'objectif.
attention au paillage en intersaisons : son but est d'isoler le sol, en particulier l'hiver et l'été. Mais il isole également au printemps du réchauffement naturel et conserve le froid dans la terre ! On peut perdre plusieurs semaines de pousse à cause de lui... La seule solution est de l'enlever dÚs les premiers rayons de soleils printaniers (et de le remettre l'été pour protéger le sol). Quel boulot me direz-vous, et vous avez raison (voir principes plus haut). On peut préférer un mulch plutÎt sombre comme de la litiÚre forestiÚre ou du BRF composté pour accentuer l'effet réchauffant (voir Albedo).
si vous avez quelques rats taupiers dans votre systÚmes, sachez que vous en aurez BEAUCOUP plus grùce au paillage : le gßte, le couvert. Je suis personnellement obligé de réfléchir fortement au ratio bénéfices/risques, ce qui n'est pas une mince affaire.
Remplir son capital nourricier dans le sol, c'est bien. C'est l'objectif mĂȘme du mulch : amener un maximum de matiĂšre organique de bonne qualitĂ© qui servira de "frigo" en Ă©lĂ©ments minĂ©raux, en eau, etc. Mais cette phase d'humification du sol, si vitale qu'elle soit, ne sert pas Ă grand-chose si les plantes ne peuvent en profiter convenablement.
La phase opposé est la minéralisation : la décomposition de la matiÚre organique et donc la libération de tous les éléments qu'elle contient (la plante ne les absorbe pas en tant que tel, ils sont solubilisés par les bactéries). Cette phase de minéralisation est, dans l'inconscient collectif des permaculteurs, le diable personnifié, responsable de la désertification sur toute la planÚte. En effet on voit de suite l'image des sols agricoles désertiques, sans structure, sans vie et vidés de leur substance.
BlĂąmer uniquement la minĂ©ralisation serait un peu simpliste si on ne prenait pas en compte que l'un ne va pas sans l'autre : humification et minĂ©ralisation sont les deux faces opposĂ©es du mĂȘme systĂšme nourricier, contraires et pourtant complĂ©mentaires telles le ying et le yang.
En effet, on n'a pas de scrupules Ă vider un frigo si on le rempli rĂ©guliĂšrement, ce qui est le cas avec le mulch (et d'autres techniques). De mĂȘme qu'il ne sert Ă rien d'apporter des mĂštres cubes d'humus de toute sorte si l'on ne peut en faire profiter les plantes.
Comment "minéraliser" cette matiÚre organique ? attention ça pique :
travail du sol,
augmentation de sa température (suppression de la couche isolante de mulch),
apports de matiÚres azotées (particuliÚrement animales : fumiers, etc).
Sans pratiques minĂ©ralisantes, si le sol a une bonne structure et est plein de vie, son potentiel de fertilitĂ© est largement inexploitĂ©. Et en particulier pour des lĂ©gumes annuels qui sont TRĂS gourmands.
Alors ne soyons pas les capitalistes de l'humus ! Comme l'argent, la matiĂšre organique et ses diffĂ©rents Ă©tapes de dĂ©composition est un flux qui doit circuler, rentrer dans le systĂšme, en ressortir et ĂȘtre toujours dans une dynamique. L'idĂ©e n'est pas de la capitaliser car quel est l'intĂ©rĂȘt d'une tourbiĂšre pour faire pousser l'abondance? On peut se permettre de prendre Ă la Nature, Ă la condition sine qua non que l'on lui redonne rĂ©guliĂšrement.
L'interventionnisme à tout crin est une résultante du besoin de l'homme de se rassurer face à une Nature qu'il ne comprend pas trop. Cette anthropisation permet parfois il est vrai des miracles, mais n'est pas toujours pertinente.
Une fois de plus, la diversité est le but mais aussi l'outil :
la butte a des avantages dans certaines circonstances mais un sol plat peut ĂȘtre pratique pour les semis, les oignons etc,
il peut ĂȘtre intĂ©ressant de faire des buttes autofertiles mais elles ne conviennent pas Ă tous les types de lĂ©gumes ni Ă tous les types de sol
le paillage est trĂšs pratique en Ă©tĂ© et en hiver mais pas aux intersaisons Ă cause des limaces, il empĂȘche Ă©galement le sol de se rĂ©chauffer, attention aux rats taupiers.
Ainsi, aprÚs quelques années d'expériences, mon jardin en permaculture ressemble à ... pleins de jardin différents :
des zones en buttes intégrales,
des zones plus plates mĂȘme si rehaussĂ©es,
du plat-Ă -la-papa,
des zones paillées en foin, feuilles, broyats (suivants les cultures),
des espaces non paillés,
etc, ...
La diversité est la clé. La dynamique, c'est la Vie !
Pas de solutions données, pas de "kit miracle" mais un maximum d'espaces différents et des cultures que je tente de placer au meilleur emplacement suivant le contexte (et l'année !). Attention, un maximum de flops et de ratages également ! Mais qui me permettent peu à peu de gagner en connaissances et de m'améliorer sans cesse. Il paraßt que c'est en se plantant qu'on pousse...
Alors attention Ă se qu'on lit et ce qu'on entend partout. Remettez tout en question (y compris ce que je raconte). La permaculture est bien trop libertaire et organique pour ĂȘtre un approchĂ©e telle un dogme. Ne sous-estimez pas tout ce que vous pouvez apprendre par vous-mĂȘme, l'autonomie sur le long terme commence peut ĂȘtre avant tout par lĂ ...
21/02/2024
S'il est une chose que les canicules et sĂšcheresses successives de cet Ă©tĂ© (et de ce printemps) nous ont appris, c'est la position extrĂȘmement inconfortable de certaines productions et en particulier du maraĂźchage en cas de rupture de normalitĂ© climatique.
Les dĂ©pĂȘches, articles et "coup de gueules" se sont succĂ©dĂ© tout l'Ă©tĂ© pour dĂ©crire l'urgence et le dĂ©sespoir des maraĂźchers face Ă des tempĂ©ratures de plus de 40°C et des restrictions en eau critiques aux cultures (voir en bas).
Je plaide depuis longtemps pour un "reset" de notre systÚme agricole, une remise à plat totale de notre alimentation et de la façon de produire, cueillir, transformer, manger.
Pourquoi ?
Parce que c'est absurde, tout est absurde. Notre modĂšle hors-sol fondamentalement dĂ©ficitaire n'est qu'un hĂ©ritage des 30 glorieuses oĂč l'Ă©nergie, l'eau (et l'argent public) Ă©taient abondants et le climat -relativement- stable.
Outre le recyclage de l'industrie de guerre (explosifs/engrais, gaz de combats/pesticides, tanks/tracteurs) pour une nouvelle "révolution verte", le plan Marshall a organisé l'industrialisation rapide du paysage agricole de la France. Relayé en 1962 par la Politique Agricole Commune et sa logique productiviste, la France est passée à la 3Úme place mondiale des exportations agricoles en au début des années 80.
Mais les "miracles" se paient un jour, malheureusement pas toujours par ceux qui les ont produits.
Et voilĂ oĂč nous en sommes : le climat devient invivable et chaotique, les sols sont Ă©puisĂ©s, les rendements baissent, les prix alimentaires augmentent et ce qui permettait Ă ce "miracle" d'exister est en passe de devenir intenable.
Le prix du pétrole (et de ses dérivés) fait du yoyo, les engrais ont augmentés de 80% en 1 an et l'eau se fait de plus en plus rare, voire n'est juste plus disponible.
Il ne s'agit plus d'ajustements à la marge, ni de pansements budgétaires : il est temps de refonder tout le systÚme de maniÚre radicale.
Les temps qui viennent ne seront pas Ă l'image du passĂ©, ni mĂȘme du prĂ©sent. Il est temps de sortir de ce rĂ©cit d'aprĂšs-guerre et d'imaginer quelque chose d'autre pour demain. Et ce qui est certain, c'est que ce quelque chose ne sera pas Ă base de plantes annuelles fragiles, exigeantes et peu nutritives. Le maraĂźchage tel qu'on le connaĂźt est une impasse issue d'une pĂ©riode d'abondance qui n'est plus. Au mĂȘme titre que les surfaces monstrueuses de cĂ©rĂ©ales irriguĂ©es destinĂ©es au bĂ©tail hors-sol, hein, Ă chaque jour suffit sa peine...
Alors oui, c'est radical, mais l'Ă©poque l'est. Nous sommes a un tournant que nous devons prendre volontairement avant de le subir. Nous devons arrĂȘter ces espoirs Ă la con et adapter rapidement notre mode de vie aux changements qui viennent. A commencer par notre nourriture.
On parle de nouveaux récits ? chiche !
Alors je vous parle de forĂȘts-jardins partout, dans et autour des villes, produisant des lĂ©gumes vivaces, fruits et plantes sauvages comestibles. Avec en productions secondaires du miel, du fourrage, des plantes aromatiques et mĂ©dicinales, du bois, etc. Des productions alimentaires Ă base d'olĂ©agineux, de chĂątaignes et de feuilles. Des cĂ©rĂ©ales ? de l'Ă©levage ? Bien sĂ»r, mais intelligemment cette fois-ci et les solutions existent : agro-sylvo-pastoralisme, pĂąturages tournants valorisant autant les animaux que les pĂątures, arbres fourragers, agriculture de conservation, etc.
Des céréales issues de variétés dites "population", résilientes et adaptatives qui poussent sur des sols vivants chargés d'humus et de vie.
Du maraßchage bien entendu mais fléché principalement sur des légumes nutritifs et de conservation, des variétés robustes et sobres, protégés par des systÚmes agroforestiers.
Une gestion fine et collective des eaux de ruissellement par bassins versants, comme un bien commun qu'elles n'auraient jamais dĂ» cesser d'ĂȘtre. Des eaux que l'on pourrait capter, stocker, et infiltrer pour faire remonter les nappes phrĂ©atiques et recouler les sources.
Et pour le reste une reforestation massive pour rĂ©parer le cycle de l'eau, que ce soit en forĂȘt mature mais Ă©galement en agroforesterie multi-Ă©tagĂ©e, productive et rĂ©siliente, gage du retour de la biodiversitĂ© dans nos campagnes.
Je pourrais continuer ainsi indéfiniment...
Alors ce sera difficile, tendu socialement, politiquement mais ce sont des rĂȘves lucides : les solutions existent, elles sont techniquement atteignables et scientifiquement sourcĂ©s.
Il faut sortir de ce storytelling de boomers et construire le monde d'aprĂšs dont on rĂȘve, ici et maintenant. Et vous savez quoi ? On est plus nombreux que vous ne le pensez Ă le faire, en rĂ©el ou en esprit.
Une derniĂšre raison de le faire ? On n'aura pas le choix :)
19/01/2024
Le besoin d'absolu est une caractéristique de notre époque. Besoin de se distinguer par le haut, acte militant désespéré, le "plus perma que moi tu meurs", par exemple, est formidablement symptomatique.
Froncements de sourcils quand j'explique que j'entretiens mes accÚs à la débroussailleuse, une zone de mon potager n'est pas paillée et on me le fait remarquer, j'ai installé des plantes non indigÚnes et on me parle de concurrence avec les végétaux locaux, qu'il faut laisser ronces et orties etc. Voire disparaßtre totalement...
La finalitĂ© de ce qu'on me propose, c'est la friche. Mais mon objectif Ă moi, c'est la production. C'est mĂȘme le premier principe de permaculture ! Le but initial de cette derniĂšre est de mettre en place un Ă©cosystĂšme CULTIVE, avec une finalitĂ© pour l'Humain. On ne sauvera pas le monde le ventre vide et charitĂ© bien ordonnĂ© commence par soi-mĂȘme. C'est pour ma part un profond sujet de rĂ©flexion et l'argent Ă©tant le nerf de la guerre, la lĂ©gitimitĂ© de toute chose se mesure par et pour lui.
Alors peut-on vivre de la permaculture ? C'est la question qu'on me pose le plus souvent et c'est toujours un sujet épineux, d'autant que (et je l'ai toujours dit explicitement), le systÚme mis en place chez moi n'a pas vocation de production économique, mais avant tout d'autonomie alimentaire et d'expérimentation. Vous allez comprendre pourquoi.
On compare tellement souvent les deux, alors que c'est tellement "incomparable". Peut-on mettre sur le mĂȘme niveau ces 2 systĂšmes aussi diffĂ©rents ? Non, et pour plusieurs raisons :
Nous ne sommes absolument pas sur les mĂȘmes intervalles de temps :
L'agriculture se base sur des cultures d'annuelles et la production commence de maniĂšre optimale dĂšs l'annĂ©e N. Un systĂšme en perma va mettre des annĂ©es Ă s'installer. DĂ©jĂ il est basĂ© sur des plantes vivaces et ligneuses qui pour certaines mettent plusieurs annĂ©es Ă fructifier, ensuite c'est un systĂšme que l'on va tendre vers l'Ă©quilibre avec des erreurs, des compensations, rĂ©Ă©quilibrages en cours de route etc. L'optimum d'un systĂšme issu d'un design en permaculture mettra des annĂ©es Ă s'installer, voire jamais d'ailleurs. Le premier Ă©cueil s'installe donc ici : quand on veux s'installer paysan, cet argument Ă peu de chance d'orienter favorablement l'opinion du crĂ©dit Agricole ou de la Chambre d'Agriculture. Et je n'ai pas parlĂ© de l'annĂ©e d'observation nĂ©cessaire avant de lancer son systĂšme... Ensuite... il faut vivre ! et tout de suite. MĂȘme les permaculteurs paient leurs factures, certains ont mĂȘme des voitures et des loisirs (une honte). On voit donc que la radicalitĂ© doit s'assouplir pour pouvoir dĂ©gager un revenu rapidement et on doit donc penser en terme de compromis, en tout cas dans un premier temps.
Un marché totalement biaisé :
L'agriculture est massivement subventionnée, les agriculteurs sont devenus les premiers fonctionnaires de l'Europe. La moitié du budget européen part dans les subventions agricoles, soit un budget de 408,3 milliards d'euros sur la période 2014-2020. La légitimité des aides dépend de la participation complÚte ou partielle au systÚme que ce soit par le processus du BPREA (Brevet Professionnel Responsable d'Exploitation Agricole), des DJA (dotation jeune agriculteur), de la participation ou non au syndicat majoritaire (plus ou moins conditionné par la DJA d'ailleurs...).
Les prix des matiÚres premiÚres agricoles sont fixés à la bourse de Chicago, largement spéculés par des traders et des algorithmes pleins d'amour, les centrales d'achats, coopératives et autres grandes surfaces de distributions prennent des marges gargantuesques, obligeant les producteurs a toujours plus de production face à des prix qui s'effondrent pour arriver à dégager quelques miettes de cette farce.
C'est un systÚme crée par et pour l'agriculture industrielle. Et vous voulez mettre les produits de votre jardin d'Eden dans ce marché concurrentiel ?
Des finalités totalement opposées :
L'objectif de l'agriculture "conventionnelle", pour simplifier éhontément, est la production d'aliments pour l'Humain ou ses animaux et, in fine, d'un surplus économique et monétaire. Point. Et pour cet objectif, tous les moyens sont bons : intrants chimiques, énergétiques, monétaires (crédits, subventions).
L'objectif de la permaculture est surtout vivriÚre : production d'aliments pour l'Humain, mais aussi pour les insectes, les oiseaux, les mammifÚres, la Vie du sol, les plantes etc... C'est la création de biotopes et de microclimats favorables, de fertilité, de fixation du carbone dans le sol, de réparation du cycle de l'eau et toute une liste de services écosystémiques innombrables et pour lesquels il n'y a ni considérations ni rétributions alors qu'ils PROFITENT A TOUS.
Le problĂšme des intrants :
L'agriculture conventionnelle cache son absence de compétitivité et externalise ses coûts véritables grùce à une batterie d'intrants divers et variés, situés tout au long de la chaßne de production : eau, pétrole, alimentation industrielle, produits chimiques (insecticides, fongicides, désherbants, conservateurs, antibiotiques). Mais également le matériel agricole, les crédits à la banque et surtout les subventions, voir plus bas. Ces artifices permettent de produire toutefois des plantes (malades) et des animaux (malades) sur des sols malades voire morts. Doit-on prendre encore en compte l'énergie grise dégagée dans la production de ces intrants et des dégùts irréversibles sur la biosphÚre pour se rendre compte du gouffre économique que représente la soi-disante "compétitivité" de cette agriculture?
Le problÚme c'est que ces coûts ne sont pas réellement quantifiés et ne participent que trÚs peu à l'élaboration des prix agricoles (voir plus haut). Alors que des systÚmes basés sur des principes agroécologiques et de conception permaculturelle sont plus productifs, économes, régénératifs et j'en passe, tout est fait pour que l'agriculture conventionnelle soit plus rentable. Pour l'instant ?
Des produits de qualité mais pas adaptés au marché :
La productivitĂ© d'une forĂȘt-jardin par exemple est extraordinaire mais reste de l'Ă©picerie fine : plantes aromatiques, lĂ©gumes vivaces inconnus ou fruits bizarres, vivaces dont la production est indirecte (pollinisation, pompe Ă minĂ©raux, fixateur d'azote), plantes Ă rhizomes biscornus, fruits plus petits, voire un peu abĂźmĂ©s, vignes et lianes qui poussent dans les arbres, etc...
Les dates de rĂ©coltes sont de fait trĂšs Ă©talĂ©es, la rĂ©colte est rendue plus dĂ©licate et plus coĂ»teuse en main dâĆuvre et en technicitĂ©. Comment mettre en concurrence Ă©conomique de telles productions telles avec des producteurs de fruits ou de lĂ©gumes qui vendent des produits standardisĂ©s se dĂ©versant par centaines de tonnes sur les marchĂ©s ?
"Ătre adaptĂ© Ă une sociĂ©tĂ© malade n'est pas un signe de bonne santĂ© mentale".
Cette phrase cĂ©lĂšbre de Krishnamurti s'adapte Ă merveille pour la production agricole. Si l'on veut rentrer dans le "systĂšme" il faut en accepter les lois et les consĂ©quences, qui sont lâantimatiĂšre de l'Ă©thique de la permaculture : Prendre soin de la Terre, Prendre soin des Humains, Redistribuer les surplus. On ne peux en ĂȘtre plus loin.
Vouloir concilier les 2 me paraßt schizophrÚne ou alors rendre le mot "permaculture" quelque peu racoleur... On ne vend pas que des produits en permaculture, on vend aussi une philosophie, une éthique et un paradigme difficilement soluble dans le gloubiboulga néolibéral.
D'ailleurs, si on veut ĂȘtre un vrai puriste, un ayatollah de l'Ă©thique permaculturelle, on n'utilise plus du tout l'argent. Car le processus mĂȘme de crĂ©ation monĂ©taire tel qu'il est actuellement est une crĂ©ation ex nihilo, basĂ©e sur de la dette et donc de l'intĂ©rĂȘt. Ce qui, en Ă©tant simpliste, lĂ©gitime et rend indispensable notre fameuse "croissance" qui dĂ©vore le monde depuis si longtemps.
Heureusement il existe un marchĂ© local, bio, participatif et engagĂ© pour acquĂ©rir une terre, financer un projet, Ă©couler ses produits transformĂ©s ou non : financements participatifs, espaces-tests agricoles, AMAP, marchĂ©s paysans, groupements de producteurs et j'en oublie. (quelques liens en fin d'article). Ăa reste "alternatif" mais n'est que le dĂ©but de l'Ă©mergence d'une vĂ©ritable Ă©conomie circulaire faite par et pour les citoyens. Et ça, c'est perma.
La permaculture n'est pas une technique agricole. Je sais c'est dur, et le comprendre éclaire beaucoup de choses. Dire qu'on est permaculteur ne veux pas dire qu'on fait des buttes avec de la paille ou qu'on mélange des légumes et des fleurs. Cela veut dire qu'on est concepteur de systÚmes autonomes, productifs et vertueux (que ces derniers soient agricoles, humains, économiques). Elle reste un outil de transition formidable pour créer une autre société pour demain. Le problÚme, c'est aujourd'hui.
Et aujourd'hui nous sommes dans une sociĂ©tĂ© financiarisĂ©e Ă outrance oĂč l'argent est l'alpha et l'omĂ©ga. Alors on peut ĂȘtre Ă©conome, recycler, faire du covoiturage, faire son jardin, avoir des poules, ne nous noyons pas dans un verre d'eau : si on veux monter un projet agricole viable, il faut des liquiditĂ©s, et des rentrĂ©es rĂ©guliĂšres et rapides, on ne vit pas que de salades et de framboises !
Mais ce n'est pas un Ă©cueil, si ces paramĂštres sont pris en compte dans la ventilation des travaux et les prĂ©visionnels du design, rien n'empĂȘche de faire des lĂ©gumes annuels dans un premier temps en attendant que les petits fruits poussent et produisent, en attendant que les fruitiers poussent et produisent, etc... C'est un systĂšme dynamique, modifiable et perfectible qui peut donner un grand nombre de produits diffĂ©rents. L'avantage de la polyculture sur la monoculture...
Comme dit plus haut, appliquer la permaculture stricto sensu dĂšs le dĂ©part risque de faire un capotage magistral niveau Ă©conomique. Elle doit ĂȘtre un guide, une ligne rouge, une boĂźte Ă outil. On doit faire la conception de son projet, c'est un outil indispensable. On doit garder Ă l'esprit les principes de la permaculture comme cadre global et on obtiendra un systĂšme pertinent, autonome et fertile. Mais n'oublions pas que les effets Ă©cosystĂ©miques d'un bon design en permaculture ne se feront sentir qu'au bout de plusieurs annĂ©es. Ou pas, d'ailleurs. La Terre-MĂšre-NourriciĂšre a ses raisons que la raison ne connaĂźt pas et comme il faut plusieurs annĂ©es pour faire refonctionner un sol en bio aprĂšs du tout-chimique, il y a certainement un certain dĂ©lai avant que les besoins des uns soient remplis par le produits des autres, comme il se doit. Cette temporalitĂ© n'est plus du tout celle de l'Homme occidental nĂ©olibĂ©ral qui doit payer ses factures !
MĂȘme si la permaculture nous laisse Ă tous des Ă©toiles dans les yeux et des raisons d'espĂ©rer, le non-dogmatisme doit ĂȘtre de vigueur. Car il n'y a rien de moins ouvert que la fermeture d'esprit, et comme disait Rolland Barthes : "Il n'y a pas de grande Ćuvre qui soit dogmatique".
Il faut accepter de penser en terme de compromis et d'évolution vertueuse dans le temps. Un des principes de la permaculture est d'"utiliser des solutions petites et lentes" pour éviter de se casser, justement, la figure en beauté. Il sera toujours temps à l'avenir d'adapter son systÚme, d'affiner ses stratégies et de s'approcher d'un équilibre naturel et économique. Pour que la sobriété heureuse ne se transforme pas en précarité subie...
16/01/2024
Comme rapidement esquissĂ© ici et lĂ , la permaculture n'est PAS une mĂ©thode agricole, mais bien une mĂ©thode de conception de systĂšmes humains basĂ©s sur le fonctionnement des Ă©cosystĂšmes naturels. Ok, quand on a dit ça il reste des trous dans la raquette... C'est pourquoi je vais vous rĂ©sumer ici succinctement le pourquoi de cette mĂ©thodologie qui est l'essence mĂȘme de la permaculture, bien loin des techniques-phares et de l'abondance-en-trois-semaines toujours bien vendue sur internet...
Je vous propose quelques notions de systĂ©mique qui me semblent nĂ©cessaires pour apprĂ©hender de maniĂšre globale l'objectif du design. Car il s'agit en premier de comprendre comment nos systĂšmes naturels fonctionnent pour mieux les imiter. Ăa reste thĂ©orique mais je vais tenter de ponctuer d'exemples concrets qui devraient, je pense, vous parler.
« Le fondement scientifique du design en permaculture repose sur la branche de lâĂ©cologie quâon nomme « lâĂ©cologie des systĂšmes ». Dâautres disciplines intellectuelles, dont la gĂ©ographie physique et lâethnobiologie, ont contribuĂ© par des concepts qui ont Ă©tĂ© adaptĂ©s aux principes de design. [âŠ] Je soutiens que leur absence ou leur apparente contradiction face Ă la culture industrielle moderne nâinvalide pas leur pertinence universelle dans lâĂ©volution vers un futur Ă dĂ©croissance Ă©nergĂ©tique. »
- David Holmgren, co-concepteur de la permaculture
InspirĂ© des travaux de nombreux Ă©cologues dont Howard T. Odum, les pionniers de la permaculture abordent une approche systĂ©mique. C'est Ă dire un cadre conceptuel oĂč ils dĂ©terminent un ensemble d'"Ă©lĂ©ments" en interactions les uns avec les autres, tantĂŽt positives (on parle alors de synergies), tantĂŽt nĂ©gatives. Le tout formant un "systĂšme", plus ou moins ouvert.
C'est ce qu'on peut voir sur les reprĂ©sentations poussives ci-dessus. Attention, c'est TRĂS schĂ©matique et incomplet, je n'ai pas fait mention ici des boucles de rĂ©troactions et autres lois de la Thermodynamique.
Ce cadre est beaucoup utilisé en écologie, mais ne parle-t-on pas d'"écosystÚmes" ?
L'idée étant de s'inspirer de la Nature, les caractéristiques systémiques sont les suivantes :
C'est donc le Graal à retrouver, mais comment imaginer (que ce soit un jardin, une ferme ou un balcon par exemple), "concevoir" quelque chose qui puisse se rapprocher d'un écosystÚme naturel avec tous ses avantages et sa complexité ?
C'est le rĂŽle de la conception en permaculture ou du Design.
Tiens, un exemple strictement opposé qu'il ne faut plus faire (c'est globalement ce qu'on fait depuis la guerre). Prenons l'exemple d'un systÚme industriel ou "conventionnel" :
Soyons clairs, un tel systÚme est une aberration qui serait mort-né dans la Nature et il ne dure qu'au prix d'injections massives et constantes d'énergie et de matiÚres. Son bilan énergétique est fondamentalement déficitaire et son bilan écologique une abomination.
Il est grand temps de changer nos méthodes.
Ces derniÚres, déjà évoqué plus haut, sont la résultante des interactions et permettent d'accélérer ou de freiner tout changement. On trouve :
Cette notion reste un fil rouge mais non un but. Car l'Ă©quilibre n'existe pas dans la Nature, ou alors trĂšs fugacement et pas de maniĂšre durable. En revanche la recherche d'Ă©quilibre est le moteur thermodynamique du vivant.
Reprenons l'exemple de la marche : quoi de plus beau que la stature fiÚre et volontaire d'un homo sapiens qui marche le regard fier. Elle n'est pourtant qu'une adaptation à un déséquilibre permanent, qui induit une action dont découle des interactions.
Cette notion n'a pas cours dans la Nature car tout est changement et impermanence. Prenons l'exemple des plantes bio-indicatrices. On remarquera que les groupes floristiques changent et évoluent tous les ans, au fil des modifications amenées par le jardinier ou plus simplement par le climat. Ce dernier modifiera chimiquement (de part la concentration en différents éléments) la solution du sol, ce qui favorisera la germination de telle ou telle espÚce spécifique.
C'est l'espace-temps tronquĂ© de l'humain court-termiste qui voit de "l'Ă©quilibre" Ă toutes les sauces et en fait mĂȘme un objectif sacrĂ© alors que c'est une chimĂšre. Si on vous parle d'Ă©quilibre en permaculture, c'est faire fi du fonctionnement intrinsĂšque de la Nature. Et c'est fort dommage.
Le réductionnisme méthodologique contemporain nous pousse à voir les détails au lieu de la globalité. Et ce n'est pas anodin. Une sorte de "mise en silos" de la connaissance des choses, un cadre conceptuel valorisant les spécialités (et les spécialistes) au détriment des interactions entre les éléments. C'est pourtant dans les synergies qu'est la plus-value des systÚmes complexes.
Un de mes mantras est "le total est supérieur à la somme des parties", ce qui implique qu'on trouve dans les relations, interactions et synergies plus que la simple addition des éléments composant le systÚme.
Et ce sont dans les zones de "bordures", d' Ă©cotones en Ă©cologie, c'est Ă dire la rencontre entre plusieurs milieux (forĂȘt, prairie, zone humide, air, mur en pierre etc) qu'on trouve naturellement le plus de dynamique naturelle.
C'est donc la valorisation, ou la création de ces écotones qui va favoriser la multiplicité des éléments, donc des fonctions et des rétroactions. Rendre le plus dynamique possible chaque niche écologique sera donc la garantie d'un bon fonctionnement de notre systÚme à long terme, avec la possibilité que les besoins des uns soient remplis par les produits des autres, et ainsi créer un systÚme "fermé" dans le sens autonomique du terme.
Comment gĂ©rer cette complexitĂ© ? Climat, sol, faune et flore existantes, objectifs, ressources, limites, Ă©conomie, social, tout est sujet Ă casse-tĂȘte. C'est lĂ que le design intervient.
"Les principes de la permaculture se concentrent sur le design rĂ©flĂ©chi des systĂšmes intensifs Ă petite Ă©chelle qui sont efficaces au niveau du travail et qui utilisent des ressources biologiques au lieu des combustibles fossiles. Le design met lâemphase sur les connexions Ă©cologiques et les boucles fermĂ©es pour le matĂ©riel et lâĂ©nergie. Le noyau de la permaculture est le design ainsi que les relations de travail et les liens entre toutes choses." Bill Mollison, co-concepteur de la permaculture
Autrefois existait ce qu'on appelait le bon sens. TrĂšs empirique, issu de l'observation, de tests et d'une bonne connaissance du fonctionnement des systĂšmes naturels, il permettait de crĂ©er de petits systĂšmes productifs et rĂ©silients, sans crĂ©er de dĂ©chets et en recyclant tout ce qui pouvait l'ĂȘtre. Plus d'un demi-siĂšcle de rouleau-compresseur de l'agriculture industrielle nous a fait Ă peu prĂšs tout perdre de ce bon sens. Il suffit de jeter un Ćil sur certaines parcelles pour comprendre qu'il est parti depuis longtemps sans donner d'adresse...
Le design nous donne une mĂ©thodologie puissante pour retrouver ce bon sens et recrĂ©er enfin l'abondance en "bouclant la boucle" (car vous avez compris que c'est notre objectif en mĂȘme temps que l'outil principal de la permaculture). C'est ce que nous allons voir dans le prochain article.
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